Judi Rever : « Je critique les chercheurs et les journalistes qui ne sont pas allés dans les camps de réfugiés, notamment au Zaïre, au Congo, en Tanzanie, en Zambie ou en Ouganda, pour demander aux Hutu les raisons de leur fuite et ce qui s’est réellement passé en 1994. »
La journaliste canadienne Judi Rever a publié, au péril de sa vie, une enquête choc sur les zones d’ombre du génocide rwandais. Cet ouvrage, intitulé « In Praise of Blood », a été un best-seller aux États-Unis et au Canada. Il a été élu livre de l’année par le Globe and Mail, il a obtenu les prix Mavis-Gallant, Huguenot Society of Canada et il a été finaliste du prestigieux Hilary Weston Prize.
À l’occasion de la publication de la traduction française de cet ouvrage, Judi Rever a accordé un entretien exclusif à Yannick Urrien sur Kernews. Son livre fait polémique parce qu’elle défend la thèse controversée d’un double génocide, donc il est clair qu’elle ne nie absolument pas le massacre de milliers de Tutsi par des milices Hutu. Le dossier est sensible et quiconque s’intéresse à ce sujet est l’objet d’intimidations. C’est le cas du Prix Nobel de la paix 2018, Denis Mukwege, qui annonce subir des menaces depuis l’été dernier. D’ailleurs, Yannick Urrien a également reçu des menaces émanant de proches du FPR (Front patriotique rwandais) pour avoir simplement interviewé Judi Rever sur Kernews.
« Rwanda. L’éloge du sang » de Judi Rever est publié aux Éditions Max Milo.
Kernews : Les journalistes ont toujours tendance à se copier : quand la majorité dit blanc, il faut toujours dire blanc et, si l’on dit que ce n’est pas si blanc que ça, mais gris, on est critiqué. Pourtant, l’histoire donne souvent raison à ceux qui étaient marginalisés quand le mouvement de foule n’allait que dans un seul sens. C’est ce que vous faites dans votre ouvrage, qui a été un énorme succès au Canada et aux États-Unis. C’est le fruit de nombreuses années d’investigations. Vous avez été menacée de mort pour avoir enquêté sur ce génocide du Rwanda qui a bouleversé la planète. Votre livre a été critiqué par ceux qui ne l’ont pas lu et qui vous ont accusée de négationnisme, alors que vous ne niez absolument pas le massacre de centaines de milliers de Tutsi au Rwanda par des milices Hutu…
Judi Rever : C’est vrai, je n’ai jamais nié le génocide contre les Tutsi. J’explique dans mon livre et dans toutes mes interviews que les Tutsi ont été ciblés par des acteurs Hutu dans toutes les zones qui étaient contrôlées par les forces Hutu durant le génocide, mais j’explique aussi – c’est ce qui dérange le régime actuel et les partisans du FPR (Front patriotique rwandais) – que les commandos de Paul Kagame ont participé au génocide contre les Tutsi. Je dis clairement qu’il faut enquêter davantage sur le rôle de Kagame et de son entourage dans cette violence contre les Tutsi.
La traduction française de votre livre aurait d’abord dû être publiée chez Fayard, mais ils ont eu peur…
Oui. J’ai été très déçue des éditions Fayard et de cette décision de renoncer à la publication de mon livre en alléguant que ce serait trop polémique et que cela pourrait fragiliser leur collection. C’était la raison officielle. Mais, en réalité, des gens proches de l’éditeur m’ont expliqué qu’il y avait beaucoup de pressions sur cette maison d’édition pour qu’elle renonce à la publication de mon livre. Il est assez grave qu’il existe en France un réseau de lobbyistes, de journalistes et de chercheurs pro-Kagame, qui sont très actifs et qui essaient d’empêcher toute voix discordante dans ce dossier.
Malgré cela, vous avez fait preuve de beaucoup de courage puisque même les services secrets canadiens et les services secrets belges, lorsque vous enquêtiez à Bruxelles, vous avaient prévenue que votre tête était mise à prix…
Oui, c’était assez surprenant. En 2014, quand je suis arrivée à Bruxelles, la sécurité d’État belge est venue me voir à l’hôtel pour m’expliquer que l’ambassade du Rwanda à Bruxelles constituait une menace contre ma vie. La Belgique était prête à me fournir des voitures blindées et des gardes du corps. J’ai dû accepter, mais c’était assez surréaliste. Cela montrait à quel point mon travail dérangeait le régime et à quel point le régime Kagame était prêt à m’attaquer physiquement.
En France, lorsque l’on évoque cette affaire, voici ce que l’on entend : il y a eu un génocide terrible qui a commencé après l’attentat contre l’avion du président Habyarimana et cette tragédie se résume de la manière suivante, les Hutu sont les méchants et les Tutsi sont les gentils, sans aucune nuance. Or, finalement, vous dites qu’il y a eu des méchants et des gentils dans les deux camps…
C’est exact. Le récit officiel que vous citez reste intact depuis 26 ans, mais cette doxa a été créée dans un climat de violence quand le FPR de Kagame a pris le pouvoir. Il y a eu tout un climat de propagande et toute personne qui osait contredire, ou parler des crimes du FPR avant et durant le génocide, tout comme du rôle du FPR dans l’attentat contre le président Hutu, le 6 avril 1994, toute personne qui osait parler de tout cela était ciblée. La personne était menacée, mise en détention, disparue dans certains cas, ou tuée dans d’autres. Les gens ont dû se taire. Il y a eu un climat de terreur et de silence, et les Occidentaux qui sont allés enquêter sur le génocide sur le terrain ont été encadrés d’une façon spectaculaire. Je critique les chercheurs et les journalistes qui ne sont pas allés dans les camps de réfugiés, notamment au Zaïre, au Congo, en Tanzanie, en Zambie, ou en Ouganda, pour demander aux Hutu les raisons de leur fuite et ce qui s’est réellement passé en 1994. Il fallait avoir la curiosité de demander à ces gens pourquoi ils ne sont pas rentrés après les 100 jours de génocide officiel au Rwanda.
D’ailleurs, au début, vous n’y connaissiez pas grand-chose et vous avez été alertée lors d’un séjour au Congo…
Je suis allé quelques jours au Congo, après le renversement de Mobutu Sese Seko, en allant directement dans la jungle congolaise pour faire des reportages sur la crise humanitaire, avec des travailleurs humanitaires congolais qui recherchaient des réfugiés Hutu qui ont été pourchassés par l’armée de Kagame durant son parcours militaire pour renverser le président zaïrois. J’ai recueilli beaucoup de témoignages, non seulement sur des crimes du FPR au Congo contre les réfugiés, mais c’est à ce moment-là que les réfugiés Hutu rwandais ont commencé à m’expliquer ce qu’ils avaient vécu durant le génocide en 1994. Mon travail est le fruit d’une quête de vérité qui a duré plus de 20 ans. J’ai tout de suite compris qu’il y avait une incohérence entre le récit officiel qui dit que Kagame a stoppé le génocide en instaurant la paix, c’est la doxa, et ce que j’ai vu sur le terrain au Congo.
Le bon sens peut amener à penser légitimement que lorsqu’il y a une guerre civile, il y a forcément des attaques et des morts dans les deux camps, c’est la même chose dans le monde entier… Or, le fait de simplement dire cela n’est pas accepté…
Chaque fois que l’on essaie d’enquêter sur les crimes du FPR, on est accusé de nier ou de minimiser le génocide contre les Tutsi. C’est faux et c’est ridicule. C’est une tactique longuement utilisée par des propagandistes, mais aussi, malheureusement, par des chercheurs et des journalistes, surtout en France, pour empêcher les gens de comprendre la vérité et de discuter sereinement sur ces dossiers. Il faut éclaircir cette histoire, mais il est très difficile de le faire. Je montre la complexité du conflit dès l’année 1990 quand, pendant plus de trois ans, l’armée de Kagame a mené une campagne de terre brûlée dans le nord du Rwanda, contre les paysans Hutu. Il est très important que les gens sachent qu’il y avait déjà eu trois ans et demi de guerre sale contre les paysans puisqu’ils ont déplacé un million de personnes dans des camps, où les Hutu ont vécu dans des conditions catastrophiques. C’était le contexte du génocide. Je montre aussi que dès l’attentat contre l’avion qui a déclenché le génocide, les escadrons de la mort de Kagame ont utilisé les cadres civils Tutsi pour cibler les leaders de la communauté Hutu en massacrant des paysans. J’explique bien cette dynamique dans mon livre, mais je dis également que les Tutsi ont été ciblés dans les zones Hutu. C’est une dynamique de violence très complexe.
Aux États-Unis et au Canada, votre livre est un best-seller, salué par toute la presse, alors qu’en France la réaction de certains intellectuels est de réclamer son interdiction…
C’est assez sectaire en France ! Je ne dis pas que ce soit facile ici au Canada, ou aux États-Unis, c’est vrai que mon livre a eu de très bonnes critiques lors de sa sortie. Mais en France, j’ai l’impression que les soi-disant spécialistes sont très sectaires et très ancrés dans l’idéologie. Il y a tellement de gens qui connaissent un peu le sujet, en allant sur place au Rwanda en étant très encadrés, à Kigali notamment, et qui veulent défendre ce qu’ils ont vu à l’époque… Finalement, ils ont bâti leur carrière là-dessus. Ils ne veulent même pas regarder les faits ou d’autres éléments, comme les documents que je publie dans mon livre, particulièrement dans l’édition française, avec des documents fuités du tribunal de l’ONU qui a enquêté sur le génocide. J’ai énormément de preuves et de témoignages de gens qui expliquent les crimes du FPR durant le génocide, mais j’ai l’impression que les journalistes français ne sont pas intéressés.
Vous avez reçu beaucoup de soutien de la part de la communauté congolaise qui milite farouchement pour la promotion de votre livre…
C’est très rassurant, cela me remonte le moral ! C’est ce qui est intéressant. Il y a beaucoup de Rwandais et de Congolais qui m’envoient des messages. Il y a une omerta qui existe depuis longtemps. Des journalistes ou d’autres personnes ont essayé de parler de ces événements, mais ils ont été écartés ou diabolisés, comme Pierre Péan. Les gens qui osent parler de la réalité, cela me touche beaucoup.
J’ai découvert que le Tribunal pénal international, au moment de recueillir les doléances de la population, ne le faisait qu’en anglais et pas en français : donc, forcément, on écartait un camp puisque les Hutu sont francophones et les Tutsi sont anglophones…
C’est un avocat présent au Tribunal pénal international pour le Rwanda qui m’a alertée sur ce sujet. Il a essayé de monter différents services linguistiques, mais il y avait peu de moyens. Par exemple, pour les victimes de viols durant le génocide, il n’y avait aucune équipe pour écouter les victimes francophones Hutu. Il y avait vraiment un problème de manque de personnes, mais aussi de manque de volonté, ce qui relève d’une certaine incompétence. Les services étaient exclusivement en anglais alors que ce n’était pas une langue officielle parlée par les Rwandais, ni les Tutsi de l’intérieur, et encore moins les Hutu. L’anglais était simplement une langue parlée par des Rwandais qui ont grandi en Ouganda. C’est la langue du FPR, de l’armée de Kagame.
Certes, cela permet d’écarter certains témoignages…
Je crois que les incompétences et les énormes lacunes du tribunal à l’époque ont créé une opportunité pour le FPR de Kagame, et ses cadres, pour vraiment influencer et contrôler le tribunal, qui est devenu très politique.
Vous insistez sur le rôle des États-Unis et notamment de Condoleezza Rice qui, dans la gestion du dossier, a tout fait pour qu’il soit traité en faveur de Paul Kagame. Quel aurait été l’intérêt des États-Unis ?
Les États-Unis soutenaient Kagame et ses commandants déjà à la fin des années 80, parce que c’étaient des gens qui étaient en Ouganda et qui faisaient partie de l’armée ougandaise de Yoweri Museveni, car c’était un pivot géopolitique pour les États-Unis. Les États-Unis ont empêché l’ONU d’intervenir durant le génocide. On a vu l’ONU retirer les forces de paix après le déclenchement des massacres et, depuis, il y a eu un appui politique et militaire pour le régime du FPR, mais pas seulement, puisque les États-Unis ont tout fait pour empêcher d’éventuelles poursuites contre Kagame au niveau du tribunal et au Congo, puisque l’armée de Kagame a envahi le Congo en 1996. Il y a eu une décision prise à Washington pour enterrer les enquêtes spéciales contre Kagame et ils ont aussi décidé de transférer le dossier des enquêtes à Kigali directement. Donc, ils ont laissé le Rwanda enquêter sur lui-même !
Le juge Bruguière avait conclu que l’assassinat du président Habyarimana avait sans doute été l’œuvre du FPR. Pourquoi l’enquête n’a-t-elle pas été poursuivie plus loin ?
Le tribunal de l’ONU ne voulait pas enquêter sur l’attentat. Les Français voulaient avoir des réponses, car il y avait quand même trois membres de l’équipage français dans cet avion. C’était un appareil français et le juge Jean-Louis Bruguière a émis neuf mandats d’arrêt contre les officiers de Kagame, en disant clairement que le FPR était responsable de l’attentat contre l’avion. Il y a eu un scandale qui a entraîné une rupture des liens diplomatiques entre les deux pays et, lorsque Nicolas Sarkozy a été élu président, il a commencé à faire marche arrière avec son ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, qui était déjà un très bon ami de Kagame. Ils ont essayé d’intervenir politiquement dans le dossier de l’attentat, parce que cette enquête s’est poursuivie sous d’autres juges. Maintenant, l’affaire a été classée, ce qui a beaucoup plu à Kigali évidemment.
Cette affaire n’est peut-être pas close, puisque le Congo demande la création d’un tribunal sur cette question…
Oui, le prix Nobel de la paix, Denis Mukwege, réclame la création d’un tribunal pour le Congo afin d’entendre les principaux acteurs, dont le FPR de Kigame, car tout le monde sait qu’il n’y aura jamais de paix et de réconciliation dans la région des Grands Lacs, si le FPR n’est pas poursuivi.
C’est fou comment sont traités des sujets aussi grave tel que le génocide des Tutsis au Rwanda. Une certaine Judith River (la Robert Faurisson rwandaise)ce permet de revionner, réécrit l’histoire du Rwanda pour semer le doute dans les esprits. Mais voila il n y a qu’en Occident où l’intérêt africain est insignifiant que l’on peut se permettre de tel ineptie….j’aimerais revoir des Dieudonné sur le plateau afin de croire que nous sommes tous égaux face à la liberté d’expression hahahaha