Auteur d’une étude de Contribuables Associés consacrée à la simplification administrative, l’économiste Sébastien Laye analyse le « plan d’action simplification » du gouvernement. Il souligne que « c’est la première fois qu’Emmanuel Macron, en sept ans, saisit réellement la portée du problème, et donc ce nouveau plan va bien au-delà de celui de 2021.
Kernews : Quelles raisons vous ont amené à travailler sur ce sujet de la simplification administrative, alors qu’il s’agit d’un thème récurrent depuis plusieurs décennies ?
Sébastien Laye : Si l’on regarde l’histoire politique et économique, c’est un sujet assez ancien, qui a même commencé dans les années 70. Le président Pompidou disait : « Arrêtez d’emmerder les Français ! » Il avait déjà le sentiment, à la sortie de l’ère gaulliste, d’une sur-administration et d’une sur-réglementation de la société française. Il y a une dizaine d’années, il y a eu un grand tournant, avec les chocs de simplification lancés par François Hollande. On a un peu l’impression qu’Emmanuel Macron, qui a négligé cela au cours de son premier mandat, redécouvre ce sujet à la faveur de crises sociales, qui sont aussi des crises normatives. Il y a eu les Gilets jaunes, mais il y a eu aussi les agriculteurs qui ont révélé un ras-le-bol de toutes ces régulations. J’ai publié ce rapport pour Contribuables associés, qui est une association qui milite pour un usage économe de la dépense publique, mais j’ai déjà eu l’occasion de conseiller des hommes et des femmes politiques sur ce sujet. C’est une arlésienne qui revient en permanence. On sait qu’il y a des gisements de valeur à trouver, en réduisant la bureaucratie dans la société française, donc il faut trouver des mesures. Il y a eu le choc de simplification, mais j’ai aussi travaillé sur ce sujet pendant plusieurs années et j’ai pu constater que le gouvernement avait lancé ses propres réflexions en novembre dernier. Donc, ce n’est pas un sujet complètement nouveau dans l’histoire économique et politique française, comme de mon côté.
Tout cela ne confère-t-il pas du crédit à la vision complotiste selon laquelle les hauts fonctionnaires ne veulent pas simplifier, parce que cela permet de recruter d’autres technocrates ?
Ce point de vue existe. Mais notre vision est que cette sur-administration de la société française est aussi un peu de notre faute parce que nous avons demandé, au cours de ces quarante dernières années, beaucoup de choses à l’État et à la classe politique. Le moyen le plus simple, pour la classe politique, c’est de produire de la norme et dépenser, pour exister. Si l’État-providence s’étend de plus en plus, on parle même d’État guichet. J’aime bien cette expression. Il faut forcément créer le personnel qui va avec, ainsi que les structures administratives. La classe politique, elle-même, essaye de traiter le moindre sujet par une loi. Il y a une vingtaine d’années, Renaud Denoix de Saint Marc, vice-président du Conseil d’État, parlait de la logorrhée verbale du législateur et du droit bavard. Vous avez un droit qui est censé tout régir dans la société française, c’est ancien, c’est très culturel. Cela a longtemps été l’apanage de la France, y compris de la France des rois, que d’arriver à produire du droit. Au début, on était reconnu pour l’efficacité de notre droit et, le temps passant, l’État-providence apparaissant, avec les multiples aides et la bureaucratie, on a désormais un droit obèse qui s’effondre sur lui-même parce qu’il est ubuesque. Regardez la réalité des CERFA à remplir, des procédures pour un permis de construire, ou encore le code de la Santé publique… Tout cela est censé nous protéger mais, en réalité, tout cela se retourne contre nous du fait de sa complexité. J’ai abordé cela en tant qu’économiste et il y a un coût, puisque l’on estime que cela représente 3 à 3,5 % du PIB et cela fait 60 à 70 milliards d’euros par an.
On entend souvent les patrons de petites entreprises dire avoir envie de tout lâcher parce qu’ils perdent un temps fou dans la paperasserie…
Je connais cette complexité, comme plusieurs membres de ma famille, mais il faut aussi parler des citoyens et pas simplement des entrepreneurs. Dans les mesures annoncées par le gouvernement, il y a des choses intéressantes pour les petites entreprises, comme la généralisation des tests PME. Chaque fois qu’il y a une nouvelle loi, le législateur doit se demander quel sera son impact sur les PME. J’aurais aimé que l’on descende plus bas que le niveau de la PME.
Mais il y a toujours des trous dans la raquette…
Il y en aura toujours ! Il faut bien comprendre que l’on n’arrivera pas à lutter contre l’extrême bureaucratisation de la société française tant que l’on aura un état obèse et omniprésent dans tous les domaines. Quand on réduit les aides sociales, avec moins d’appareil administratif, la simplification joue automatiquement. Si votre État-nounou se rétrécit, il y a évidemment moins besoin de normes et de bureaucratisation. Cela s’est produit au Canada, il y a une vingtaine d’années, en Allemagne, et plus récemment aux États-Unis avec Donald Trump. Ensuite, au niveau du droit, on préconise de prendre chaque secteur du droit, en essayant de définir les principes généraux. La loi doit définir les principes généraux, mais pas au-delà. Après, c’est aux acteurs de terrain de voir les choses en fonction des situations. On a fait cela pour le droit du travail, à travers la commission Badinter, qui a évoqué une trentaine de principes.
Si vous êtes en surpoids, vous pouvez faire des efforts, mais il y a toujours des tentations et, pour les cas les plus désespérés, il y a le recours à la chirurgie. On a le sentiment que l’on est dans cette situation : on se fixe des bonnes résolutions, mais rien n’avance. Faut-il passer par la révolution des normes, à savoir l’intervention chirurgicale ?
Les Français en ont ras le bol ! Regardez la crise des Gilets jaunes ou la crise agricole récemment. Emmanuel Macron semble redécouvrir ce problème. En réalité, pour reprendre votre analogie, il faut mieux manger et moins manger. Il faut redéfinir le rôle de la loi, en précisant que la loi ne doit pas intervenir dans tous les domaines. Ce serait une vraie politique de simplification et nos voisins font cela très bien. En France, on ne se pose pas des questions sur le droit d’une manière générale, on réagit secteur par secteur, en fixant des priorités sur l’agriculture et le logement. Donc, le gouvernement essaye d’intervenir, comme des pompiers, en créant des exemptions et des niches. C’est la même chose sur la fiscalité, puisque l’on crée des niches fiscales pour chaque entreprise. Donc, c’est de la paperasserie en plus. Pas de la simplification. Dans l’agriculture et le logement, ce qui pose un problème, c’est le principe de précaution qui a été constitutionnalisé en 2005. Et cela essaime dans tous les secteurs. On essaye d’aider les agriculteurs avec le principe de précaution, en créant des exceptions, mais ce même principe va aussi gêner des gens dans l’innovation, les télécommunications, l’intelligence artificielle. Donc, on ne doit pas traiter cela secteur par secteur. En ce qui concerne l’état obèse, on peut aussi moins manger et cela signifie sortir de l’État-providence. C’est ce qu’il y a de plus difficile à faire. Ce n’est pas une politique de simplification, il suffit simplement de dire qu’il y aura moins d’aides sociales et une fonction publique qui sera gérée différemment. Automatiquement, la complexité administrative sera réduite dans la société française.
Les chefs d’entreprise disent souvent que ce qui les dérange le plus n’est pas de payer, mais de perdre du temps…
Oui, mais le temps c’est de l’argent. Quand on passe plusieurs heures sur de l’administratif, cela engendre du stress, cela demande de l’énergie, alors que les grandes entreprises peuvent avoir des avocats et des services juridiques. Le PDG d’une multinationale ne va pas sentir la complexité administrative. Le prisme de mon rapport porte surtout sur les particuliers.
Prenons l’exemple de l’investissement locatif : il y a toujours des déclarations à faire, c’est vraiment stressant…
Surtout sur l’investissement locatif, cela reste le principal usage de l’épargne des Français, mais on pourrait aussi citer le secteur de la santé. On a fait beaucoup de progrès avec la dématérialisation, c’est peut-être le seul succès que nous ayons connu en matière de simplification au cours de ces dernières années. On peut aller plus loin, notamment avec l’intelligence artificielle, car c’est un moyen de simplifier la complexité administrative. Le gouvernement a pu annoncer la suppression des CERFA à l’horizon 2030, c’est normal, car avec la dématérialisation et l’intelligence artificielle, vous aurez toujours un document CERFA, mais vous ne le verrez jamais. La saisie se fera en remplissant un formulaire en ligne. Quand on simplifie en utilisant des technologies, cela va plus vite mais, derrière, on ne simplifie pas le droit. Un droit peut rester compliqué parce que la technologie nous permet de mieux l’appréhender mais, derrière il n’y a pas une vraie simplification, notamment quand vous intégrez une nouvelle IA, comme « Albert », qui est celle développée par l’administration.
Avez-vous le sentiment qu’il y a une réelle volonté de la part de nos dirigeants d’aller vers la simplification ? Peut-on aussi penser que ces gens ne se rendent pas compte de la réalité ?
Les annonces récentes du gouvernement Attal vont dans le bon sens car sur la douzaine de propositions que je fais dans mon rapport, il y en a au moins trois qui sont reprises telles quelles, et une ou deux qui se ressemblent. S’agissant de la volonté réelle de nos dirigeants, il y a plusieurs éléments qui me choquent. J’ai l’impression qu’Emmanuel Macron découvre ce sujet, alors qu’il l’a connu. Même lorsqu’il était ministre, il ne s’est rien passé de particulier quand il est arrivé en 2017. Ensuite, on se réveille après une crise. Généralement, quand le législateur se réveille après une crise, ce n’est pas du bon boulot. Sur cette vague de simplification, il y a plutôt des avancées du côté des entreprises, alors que pour les particuliers, on se contente de réagir sur les plateaux de télévision. J’ajoute que l’on ne pourra pas faire une réelle politique de simplification si l’on ne pense pas à la dimension européenne et si l’on n’essaie pas de lutter contre la bureaucratie à Bruxelles. Une grande partie de la complexification de notre droit, c’est aussi ce qui vient de l’étranger, notamment les normes internationales qui s’imposent à nous, et nos hauts fonctionnaires s’amusent à faire de la surtransposition. Finalement, on arrive à des situations ubuesques, comme mettre en latin le nom des espèces de poissons que l’on vend sur le marché de Marseille… Il n’y a que les Français pour aller à ce niveau-là ! On peut s’interroger sur le timing. On réagit à chaud, parce qu’il y a des récriminations, mais en général on ne fait pas un bon travail en faisant cela. Je demande l’instauration d’une politique de simplification pérenne, car dans les autres pays, ce n’est pas quelque chose que l’on redécouvre tous les deux ans. Il y a souvent un conseil de simplification qui vérifie toutes les lois et qui met en permanence la pression sur le législateur. C’est assez sain, car le législateur veut rajouter des lois et des normes pour protéger tout le monde. C’est l’essence même du politique, ils sont payés pour ça, donc ils doivent avoir contre eux des gens qui les incitent à réduire cette complexité. Cela marche très bien en Allemagne ou en Hollande. Il y a un vrai sujet politique, car ce sont aussi les politiques qui produisent de la norme, et pas simplement les hauts fonctionnaires.