La chanteuse publie son autobiographie et un coffret Best of de 50 chansons
Jeanne Mas a marqué fortement le paysage de la chanson française avec des succès que l’on entend toujours à la radio, comme « Toute première fois », « En rouge et noir », « Johnny Johnny » ou « Cœur en stéréo »… Elle vient de sortir un coffret de 3 CD, intitulé Réminiscences, ainsi que son autobiographie, chez Flammarion, qui s’appelle aussi Réminiscences. Jeanne Mas vit aux États-Unis et, à l’occasion d’un récent passage à Paris, elle a accordé quelques entretiens, dont celui-ci pour Kernews.
Réminiscences, Best of avec 3 CD, distribué par Warner Music.
Réminiscences, le livre, de Jeanne Mas, est publié chez Flammarion.
Kernews : Vous revenez en France en présentant un coffret Best of de 50 titres, Réminiscences, ainsi qu’une autobiographie, également intitulée Réminiscences. En fait, vous ne nous avez jamais vraiment quittés, puisque vos chansons sont toujours diffusées. On vous catalogue comme une artiste des années 80 et, chaque fois que vous avez voulu revenir, on vous y a confinée. Mais une carrière ne se photographie qu’à l’issue d’une vie et l’on ne peut jamais savoir ce que sera le bout d’une vie…
Jeanne Mas : C’est fort vrai. Réminiscences est ma première autobiographie artistique. Ce sont les coulisses de tout ce succès que les gens ont vu, ce que j’ai vécu, avec quelques épisodes personnels pour expliquer mes choix musicaux. J’ai la sensation, parfois, que je suis partie et dès que je suis ici, j’ai l’impression de n’être jamais partie, parce que je retrouve une partie de ma famille artistique.
Ce n’est pas simplement une autobiographie, car vous nous emmenez dans le monde du show-business des années 80…
Je raconte beaucoup d’anecdotes, de nombreuses rencontres avec tous ces artistes des années 80. Tout ce que nous faisions ensemble, les télévisions… C’était un tourbillon incroyable et nous avions une chance incroyable parce que l’on s’amusait beaucoup. Je ne sais pas si, aujourd’hui, on s’amuse autant… Quand je vais sur les plateaux de télévision, j’ai l’impression que tout le monde s’amuse, mais auparavant il y avait une vraie complicité entre les artistes.
C’est aussi un milieu où il faut beaucoup travailler. Vous avez commencé en Italie, puis vous êtes venue en France. Certaines maisons de disques n’ont pas voulu de vous, votre premier succès n’est pas arrivé avec un coup de baguette magique…
Jamais ! Alors, il y a ceux qui ont de la chance et qui y arrivent très rapidement… J’ai mis du temps et je suis contente d’avoir mis ce temps, parce que cela m’a permis de travailler sur mon talent et d’apprécier le moment où les gens m’ont reconnue. Quand on connaît le succès après avoir autant attendu, ramé, s’être remise en question et avoir beaucoup travaillé, le jour où cela vous arrive, d’abord vous n’y croyez même pas et c’est formidable.
Vous racontez aussi vos périodes de galère en Italie…
Ce sont des anecdotes sympathiques, mais en même temps c’était dur, parce que je me disais que je n’y parviendrais jamais… J’essayais de survivre, mais je n’arrivais jamais à ce rêve de pouvoir exister avec ce qui me faisait vibrer, c’est-à-dire chanter et être une artiste.
En pleine gloire, vous aviez la réputation d’être inaccessible et vous racontez qu’un journaliste était venu vous voir en se plaignant de ne jamais pouvoir vous approcher. On décèle une grande timidité chez vous, mais aussi l’envie d’être une artiste sans faire parler de vous autrement, sans calcul marketing…
Pas de ma part, jamais ! Je suis honnête, sincère, totalement intègre… Je suis abordable, je suis ouverte aux gens. J’adore le dialogue et ma mission d’artiste était de parler des gens et de m’intéresser à ceux qui m’aimaient, car mon public m’a aussi donné de l’amour et tout artiste recherche cet amour.
Vous aviez envie de faire ce métier et, dès l’âge de quinze ans, vous alliez assister aux émissions de Guy Lux à la Maison de la Radio…
Un jour, je croise Antoine et je lui explique que je voudrais juste assister à une émission de télévision. Il m’a fait rentrer avec lui, c’était un être très généreux. Ce qui est amusant, c’est que je l’ai recroisé par la suite, lors d’une émission de télévision, et je n’ai jamais osé lui dire qu’il avait fait cela pour moi… Je lui en étais vraiment reconnaissante. Je me souviens de cette première rencontre, c’était une émission de Guy Lux, Julien Clerc chantait, j’avais quinze ans et je m’imaginais sur scène…
Et puis, il y a cette rencontre avec Romano Musumarra qui devient le « Monsieur tubes » du show-business grâce à vous !
Romano faisait partie d’un groupe en Italie et la chanson « Johnny Johnny » est devenue un tube grâce à moi. C’est ensuite qu’il a écrit « Comme un ouragan » qu’il a donnée à Stéphanie de Monaco. En fait, il m’avait proposé cette chanson, mais je n’en avais pas voulu, parce que c’était un peu trop comme « Johnny Johnny »… J’avais envie d’évoluer et j’ai chanté « En rouge et noir ». Finalement, il a très bien fait de donner cette chanson à Stéphanie, parce qu’elle l’a très bien défendue ! Cette chanson était pour elle.
On vous connaît aussi pour votre look et vous soulignez que vous faisiez très attention à ne jamais apparaître avec les mêmes vêtements dans les émissions…
C’était une envie de faire rêver. Quand vous interprétez une chanson, il y a le plaisir des oreilles, mais il y a aussi le plaisir des yeux. Tout le monde attendait de voir comment j’allais m’habiller et avec quels bijoux. Le visuel est très important. C’est la même chose pour Madonna et l’on est toujours fasciné par le visuel qu’elle apporte.
Le plus beau jour de votre vie, c’est lorsque vous signez votre premier contrat avec Jean-Jacques Souplet…
J’ai écrit ma biographie artistique au fur et à mesure que je l’ai vécue. Très souvent, je parle au présent et ce jour-là était vraiment le plus beau jour de ma vie, parce que j’avais tellement attendu cette chance et cette confiance. Jean-Jacques Souplet était un homme extraordinaire qui a lancé plein d’artistes, dont Gérard Blanc. Quand il m’a dit oui, c’était grandiose !
Vous écrivez que « la vraie richesse se contemple dans le cœur des artistes » et que l’argent n’a jamais constitué un aboutissement dans votre vie. J’ai connu beaucoup de gens qui vous ont côtoyée et qui ont confirmé cela. N’est-ce pas ce qui vous a bloquée dans votre carrière, face à d’autres artistes qui font davantage de marketing ?
Il faut être honnête : si je voulais faire du marketing et si j’avais voulu rester dans le business pour gagner beaucoup d’argent, je serais restée avec Romano Musumarra ! Je n’ai jamais regretté la cassure avec Romano Musumarra, même si, ensuite, j’ai fait des chansons qui ont été plus difficiles à vendre. J’ai toujours voulu être honnête dans mes sentiments, ma spontanéité et ma liberté artistique.
Cela peut parfois vous coûter cher car un jour, en Italie, vous invitez à déjeuner Monique Le Marcis, la programmatrice de RTL, et Yvonne Lebrun, la programmatrice de Radio Monte-Carlo dont on peut dire que c’étaient les deux femmes les plus importantes du show-business. Vous leur faites écouter quelques titres. Elles sont prêtes à vous aider sur une chanson, mais vous ne les écoutez pas. Et c’est un autre titre qui sort !
C’est nul, ce que j’avais fait… Mais, en même temps, c’était honnête. Elles ont choisi « Dors bien Margot », mais à l’époque ce n’était pas du tout le single que je voulais défendre. Alors, je me suis dit que soit j’étais là pour contenter les médias, soit j’étais là pour rester une artiste libre. Je suis restée une artiste libre et elles ont été très en colère, même si, par la suite, elles m’ont pardonné. Simplement, elles avaient le pouvoir et moi je ne l’avais pas. En restant libre, j’ai finalement sorti « Au nom des Rois »…
Vous abordez un sujet sensible dans le monde du show-business, car tous ceux qui ont voulu devenir acteurs ou chanteurs sont souvent tombés sur des margoulins. Vous racontez une rencontre avec un prétendu producteur qui vous emmène chez lui. On devine ce qu’il essaie de faire et vous claquez la porte ! Beaucoup de jeunes hommes ou de jeunes femmes ont vécu cela dans ce métier…
C’est tragique, mais c’est vrai que l’on m’a toujours dit qu’il fallait coucher pour arriver et j’ai toujours répondu que j’y arriverais parce que j’avais du talent et que, si je n’y arrivais pas, c’est que je n’en avais pas suffisamment. C’est drôle, parce que l’on demande toujours cela aux femmes. Une amie artiste m’a expliqué qu’en Italie il fallait toujours coucher pour arriver ! C’est un truc que l’on impose aux nanas, il faut arrêter ! Je vis à travers mon talent et tout ce que l’on m’a proposé en parallèle n’a jamais fonctionné, parce que je ne suis pas dans cet état d’esprit.
Voici la blague la plus connue de l’univers impitoyable du showbiz : « Quand on est jeune, il faut coucher pour réussir. Et à partir d’un certain âge, il faut avoir réussi pour continuer de coucher ! »
Je ne la connaissais pas, mais je comprends mieux maintenant !
Autre épisode amusant : Michel Charasse, qui était le ministre du Budget, vous convoque à Bercy, parce qu’à l’époque vous viviez aussi en Italie. Il vous explique qu’il n’a pas confiance dans les artistes et il vous demande de lui rendre son argent !
Il m’a dit : « Je n’aime pas que l’on me pique mon fric ! » J’ai été choquée. D’abord, c’était quand même drôle d’être convoquée au ministère des Finances et de me retrouver face à ce monsieur, qui avait l’air fort sympathique, mais très teigneux. Il avait des bretelles rouges et un petit peu de ventre, avec un cigare posé sur son bureau. Il avait vraiment un look. Comme il voyait que je vendais beaucoup de disques et que j’étais résidente en Italie, il m’a demandé de revenir en France, ce que j’ai accepté sans aucun souci. Finalement, quand on est célèbre, il n’y a pas que des avantages…
Vous voulez bien payer vos impôts en France et il est assez surpris de cette coopération plutôt rapide…
Tout à fait, mais je m’en moquais totalement. Que je paie mes impôts en Italie ou en France, c’était la même chose. De toute façon, il fallait que je paie des impôts. Alors, je suis revenue vivre en France.
Vous évoquez aussi une émission de télévision avec Marc-Olivier Fogiel qui vous a beaucoup marquée, car vous aviez l’impression d’aller à l’abattoir…
Je n’étais pas la seule… Je ne voulais pas faire ce genre d’émission, mais il y a eu une période où il fallait y aller, parce que cela faisait vendre en raison des audiences importantes. En réalité, cela ne fait pas vendre de se faire assassiner ! Comme vous le dites, c’était un abattoir. Je n’étais pas prête, je ne voulais pas la faire, cette émission… Mon attitude était programmée pour être comme un agneau, mais il m’a énormément heurtée et cela m’a fait beaucoup de mal.
Il vous répète que vous êtes une artiste du passé et que vous êtes finie… Mais souvenez-vous des années 80 où des artistes tels que Gérard Lenormand ou Sylvie Vartan étaient considérés comme dépassés, les radios FM ne voulaient plus les programmer… Idem pour Michel Berger à une époque… Pourtant, aujourd’hui, des adolescents de quinze ans fredonnent toujours leurs chansons…
J’ai souvent défendu Gérard Lenormand, qui est un homme qui a donné beaucoup de bonheur. Certains médias ne comprennent pas qu’il n’y a pas d’artistes has been. Les Rolling Stones sont-ils has been ? Ce n’est pas l’âge qui fait que tu deviens has been ! Normalement, la vraie définition de has been, c’est que l’on est plus là, donc c’est la mort… Ensuite, tous ces artistes sont des gens qui ont donné du bonheur à leur public et il faut respecter ce bonheur. Il faut arrêter de mettre des étiquettes par snobisme, parce que ce n’est pas sain !
Autre moment qui vous a fait beaucoup de mal : vous découvrez l’interview de Nagui qui déclare avoir mis votre nom sur sa liste noire parce que vous auriez écrit sur un tableau de promos, dans votre maison de disques, « OK pour tout sauf l’arabe »…
Cela m’a fait énormément de mal, parce que j’ai connu Nagui à mes débuts. Il travaillait dans une radio dans le Sud et on s’amusait comme des fous. J’ai gardé des souvenirs incroyables. Je ne comprends pas comment il a pu retourner sa veste à ce point. Je voudrais déjà qu’il me dise qui lui a raconté cette connerie… Qu’il n’essaie même pas de me contacter, cela m’a fait beaucoup de mal. Au début, j’ai pensé qu’il avait un coup de folie, mais il faut qu’il arrête de traiter les gens de racistes.
Ce n’est pas la première fois, parce qu’un jour il a raconté dans une interview qu’il s’était fait virer du City Rock Café, à Paris, par Ringo (l’ancien mari de Sheila) qui lui aurait dit qu’il ne voulait pas d’arabes dans son établissement. Or, j’étais là. Je connaissais bien Ringo et je me souviens encore de cette soirée. Il y avait effectivement eu un clash avec Nagui, pour une raison anecdotique, mais Ringo n’a aucunement prononcé de propos racistes…
Il faut arrêter cela ! Nous vivons tous dans un même monde, sur une même planète, et si l’on pouvait vivre tous en paix, dans le respect des uns et des autres, ce serait formidable. Il faut arrêter, parce que ce n’est pas sain.