La « petite fiancée des Français » sort un album qui permet de retrouver les différentes étapes de sa carrière.
Sheila effectue son retour avec un album intitulé « Venue d’ailleurs ». L’artiste revient sur les différentes étapes de sa carrière en interprétant plusieurs chansons de style différent, du yéyé à la variété, en passant par ses années pop et funky. Sheila était l’invitée de Yannick Urrien sur Kernews pour évoquer la conception de cet album.
SHEILA PARTIE 1
Kernews : Comment vivez-vous cette période de sortie d’album, avec la pression que vous n’aviez pas ressentie depuis plusieurs années ?
Sheila : Je vais très bien ! Il était difficile et compliqué de faire cet album, cela a pris du temps. Mais maintenant qu’il est sorti, j’en suis très fière. Je le trouve très beau et j’ai été au bout de ce que je voulais faire. La boucle est bouclée et j’ai travaillé avec des gens extraordinaires qui ont écrit de jolies choses.
Il s’agit d’une première, car généralement les artistes focalisent leurs albums sur un thème ou un style précis. Or, cette fois-ci, vous avez tout mélangé : rock, pop, funk, variété…
Comme ma vie ! J’ai touché à tout dans ma vie, donc j’ai tout mélangé. C’est vrai que ce n’est pas du tout une habitude, donc je ne savais pas comment les gens allaient réagir. Mais comme j’ai changé très souvent de style, en travaillant sur des rythmes différents, en travaillant avec des Américains et des Français, cet album résume mon histoire.
Vous nous accompagnez depuis les années 60 en étant la « petite fiancée des Français ». D’où vient cette expression ?
Je ne sais pas comment c’est venu… C’était sans doute un journaliste. Je crois que c’était dans « Jours de France ». Il y a eu aussi « la petite fille de Français moyens ». Tout cela a construit une histoire, mais je crois que c’était surtout parce que j’étais proche des gens. J’étais quelqu’un de populaire. On me l’a beaucoup reproché, mais j’en suis très fière. En étant populaire, je touchais la France profonde. Qu’est-ce que c’est bien d’être avec la France profonde !
Très peu d’artistes ont eu une telle carrière, à l’exception de Johnny Hallyday, Françoise Hardy, France Gall ou Véronique Sanson…
Disons que je suis née sous une bonne étoile… Mais j’ai surtout beaucoup travaillé et, avec le temps, j’ai compris comment il fallait s’entourer. Il faut du temps pour cela. Avant, on se plante et on fait des erreurs. Mais pour ce nouvel album, je savais exactement ce que je voulais. Je n’ai pas toujours trouvé au départ les bonnes personnes. Je voulais absolument Nile Rodgers et Keith Olsen. Puis j’ai pris Éric Azhar qui travaille avec moi. J’ai aussi pris un excellent manager qui s’appelle Ludovic Barnouin. Cet album s’est fait en trois semaines, mais il a nécessité quatre ans de préparation. On a travaillé dans la joie et dans la bonne humeur. J’ai été l’enregistrer en Belgique, dans un studio qui s’appelle ICP, que je ne connaissais pas, avec un ingénieur du son merveilleux, et c’était une vraie joie.
Comment avez-vous vécu la période de confinement ?
Pour nous qui sommes tout le temps sur la route, c’était compliqué. Je suis quelqu’un qui bouge tout le temps et cela a été très dur au début. On a dû décaler de nombreux galas, comme de nombreux artistes. Mais comme je positive, je me dis que grâce à cela on a pu faire notre album. On est parti enregistrer en Belgique. On a fait attention, on est resté confiné avec les mêmes gens et j’ai pu faire mon album.
Je voudrais évoquer quelques titres de votre album. D’abord, « Tous Yéyé », où il est question du vent de liberté qui soufflait alors et l’on peut aussi parler du cinéma. Cette nostalgie est-elle surtout liée à cette indépendance ?
C’est l’époque qui était magnifique ! Vous évoquez le cinéma : il y avait Michel Audiard et des personnalités… Aujourd’hui, ce n’est plus pareil, on est dans le monde du rapide. Je ne suis pas quelqu’un de nostalgique. Je ne regarde pas en arrière et le clin d’œil que je voulais faire, c’est le regard d’un garçon de vingt ans sur cette époque. Évidemment, ce que je regrette dans cette époque yéyé, c’était mes seize ans, mon inconscience et ma joie de vivre. L’époque était magnifique, parce que l’on a créé plein de trucs. Mais à chaque âge ses plaisirs…
Lorsque l’on discute avec des jeunes d’une trentaine d’années, on constate que bien qu’ils n’aient pas vécu eux-mêmes ces années, ils en sont nostalgiques, grâce à ces références culturelles…
C’est normal, parce que c’était une époque d’insouciance. Aujourd’hui, c’est compliqué. Nous étions après la guerre, on faisait ce que l’on voulait et on est allé jusqu’au bout. On avait tous le même âge. On a créé une presse différente, même si ce n’était pas parfait, on sortait nos chansons, il y avait un lâcher-prise qui n’existe pas aujourd’hui. Le monde a changé et c’est toute la différence. Quand on enregistrait, on faisait quatre titres en quatre heures et tout le monde jouait ensemble. Maintenant, tout est technique et tout est fait par ordinateur. C’est bien, mais c’est moins gai que quand on partage des choses.
La chanson la plus émouvante de votre album, c’est « La rumeur » où vous citez clairement « France Dimanche » : « La rumeur est une mort lente qui condamna Annie à vie, chancelle la flamme jamais ne s’éteindra… »
C’est le talent d’Amaury Salmon qui a écrit ce titre.
Certains n’ont pas compris à quel point vous aviez été meurtrie par cette calomnie et ce titre de France Dimanche : « Sheila est un homme »…
Les gens ne se rendent pas compte de ce qu’est une rumeur,. Une rumeur, c’est une chose, mais quand elle dure quarante ans, ce n’est pas la même chose. Le problème, c’est que cela a entamé ma vie et la vie de mon gosse, mais aussi celle de mes parents. C’est pour ça que j’ai voulu cette chanson. Certains peuvent raconter ce qu’ils veulent en rigolant aujourd’hui, mais cela ne me fait pas rire parce que, toute ma vie, cela m’a foutue en l’air. On vous dit qu’il n’y a pas de fumée sans feu, on vous dit que c’est écrit dans le journal… Vous croisez des gens qui vous disent : « Je connais très bien l’ami de l’ami qui connaît le docteur qui l’a opérée »… Ce qui est terrible dans une rumeur, c’est le regard des gens. Vous savez très bien que les gens bavassent derrière vous et, en plus, une phrase est dite, un autre en rajoute un bout, c’est comme ça que l’on se retrouve dans « Le Quotidien du médecin » avec un article sur l’opération réussie de Sheila ! Dans l’album, il y a un texte magnifique de Yann Moix qui explique très bien cela en disant que je suis devenue le premier transgenre à l’époque…
Cette rumeur vous a-t-elle mis KO psychologiquement pendant un certain temps ?
Oui, parce que cela ne s’arrêtait jamais. C’était sans fin. On a dit que j’avais une poche d’eau de mer sous le ventre… Après, que mon enfant n’était pas le mien et que je l’avais acheté en Suisse… C’était sans fin…
Et il n’y avait pas encore les réseaux sociaux …
Voilà pourquoi j’ai fait cette chanson, parce que cela fait partie intégrante de mon histoire. Ce disque, c’est ma vie, donc j’étais obligée d’aborder ce sujet, mais j’ai voulu aussi prévenir les gamins qui sont toute la journée sur leurs écrans, qui partagent n’importe quoi et qui ne se rendent pas compte qu’une rumeur peut être un assassinat programmé. En plus, ce n’est même pas signé car il y a souvent un prête-nom. Je peux parler par expérience, je sais de quoi je parle. Il faut faire très attention, cela peut tuer quelqu’un. Une rumeur, c’est comme une chasse à courre : vous êtes le cerf, vous êtes harcelé tout le temps, c’est une traque et les gens attendent l’hallali.
Il y a un autre titre émouvant dans votre album, c’est « Cheval d’amble »…
Il était inconcevable pour moi de faire cet album sans avoir une chanson pour Ludo, mais je voulais un poème, c’est au-delà d’une chanson. C’est pour cela que j’ai travaillé avec un auteur de pièces de théâtre, qui n’a jamais écrit de chansons, parce que je ne voulais pas des mots de chansons. J’ai eu la chance de travailler avec Christian Siméon. On a passé un après-midi ensemble et je lui ai mis la pression en lui disant qu’il n’y avait que lui qui pouvait écrire cette chanson. Il a écrit ce texte qui est une poésie à l’état pur et j’ai demandé à Philippe Rombi, qui ne fait que des musiques de films, de créer un univers. J’ai fait cette chanson pour Ludo parce que je ne supporte plus que l’on parle de lui, pour dire n’importe quoi par-dessus le marché. J’ai envie qu’on le laisse dans la lumière et qu’on lui foute la paix. Cette chanson est destinée à le remettre en haut et le laisser en haut. Il faut que tous les cons qui parlent arrêtent de bavasser !
SHEILA PARTIE 2
Autre titre : « Chaman », qui dégage une grande spiritualité…
J’ai rencontré Pierre-Yves Lebert qui a écrit ce texte magnifique et j’ai évoqué avec lui deux sujets : « Chaman » et « Dieu dans tout ça ». Cette chanson est magnifique. C’est la connaissance de soi, cela nous ramène à zéro. On est poussière sur Terre, c’est l’univers qui dirige à la fin. On fanfaronne, mais on n’est rien. Nous ne décidons de rien. On ne fait qu’esquinter la planète, on ne se rend pas compte qu’elle sera plus forte que nous. Si l’on continue à faire cela, elle ne nous nourrira plus. Je voulais que cette chanson fasse voyager et c’est magnifique. Les chants veulent dire quelque chose, tout est étudié. On a été au bout du bout.
D’ailleurs, vous avez une chanson sur l’écologie : « 7e continent »…
Malheureusement, je ne prends pas les décisions ! Je me demande ce que font les présidents. Je suis très Hugo Clément, je tiens beaucoup à la défense de la nature…
Dans cette rétrospective de carrière, je retrouve dans deux titres l’esprit d’une chanson culte à mes yeux : c’était « Little Darlin’ »…
C’était Keith Olsen qui m’avait fait cet album de « Little Darlin’ ». II a travaillé avec Pat Bénatar, Fleetwood Mac, Scorpions et les plus grands. Il a été nommé 24 fois aux Grammy Awards et il en a gagné 17 ! C’est un très grand producteur. C’était mon frère, vraiment mon frère, comme Nile Rodgers. On ne s’est pas quitté et, quand je lui ai téléphoné pour lui expliquer mon album, il était prêt à me faire un triple album, parce qu’on a vécu des trucs ensemble. Donc, il était important qu’il soit là. Mais le beau cadeau qu’il m’a fait, c’est qu’il m’a amené le chanteur de Chicago et le chanteur de Santana : Jason Scheff et Alex Ligertwood. Il m’a dit : « Tu vas être surprise, je t’ai trouvé des choristes vraiment super ! » Quand je les ai vus, je suis tombée de ma chaise ! Ce sont devenus des amis, parce qu’on a vraiment pris du bon temps. Ils ont fait les chœurs de « Ooh La La », mais il y a une vraie différence entre les Français et les Américains. D’abord, les Américains respectent les carrières, ce n’est pas le cas en France, et Jason m’a dit en studio : « On a touché les étoiles dans nos vies, que peut-on avoir de plus aujourd’hui ? » Finalement, notre objectif est de partager notre musique. Il ne se pose pas la question à l’idée de faire « Ooh La La » derrière Sheila : il chante et il est heureux de vivre cette aventure.
SHEILAPARTIE 3
Évoquons maintenant Nile Rodgers avec ce morceau très funk « Law of Attraction » qui est presque un OVNI dans cet album…
Je pense que c’est un tube ! On vient de faire un remix par Sky Adams, qui a remixé l’album de Kylie Minogue, c’est à tomber ! Malheureusement, je ne sais pas comment on va s’en servir cet été. J’ai fait le pari avec Nile de remettre tout le monde sur la piste de danse quarante ans après. Nile, c’est mon âme sœur, on est très proche l’un de l’autre. Je suis la seule production de Chic Organisation. Après, il y a eu David Bowie, Madonna et d’autres… Mais je suis la première ! J’ai eu la chance de chanter avec lui « Spacer ». Quand il a fait Pleyel, j’ai chanté avec lui, il a pleuré comme un enfant et il a dit :« Cette femme a changé ma vie ». Quand on sait que Nile Rodgers c’est vraiment le top niveau du top niveau aujourd’hui, quelqu’un qui n’oublie rien, c’est fantastique !
C’est incroyable que l’artiste iconique française, Sheila, ait retrouvé cette fusion avec Nile Rodgers qui est sans doute, avec Quincy Jones, une icône mondiale…
Cela marque le temps et, ce qui est formidable, c’est que je suis aussi dans sa vie, comme il est dans la mienne. On a un océan qui nous sépare, mais on se parle beaucoup. En plus, il ne m’a jamais dit non.
Vous dites que les Américains respectent les carrières, mais pas les Français. Qu’entendez-vous par là ?
En France, pour une femme, c’est la cuisine et la vaisselle à quarante ans. Il faut savoir regarder la vérité en face : le show-business est un métier d’homme. Une femme ne réussit pas, une femme de quarante ans est au rebut. C’est terrible, parce qu’il y a peu de carrières comme la mienne. On est peu de survivants, malheureusement. Mais à l’âge que j’ai, je me moque de ce que les gens peuvent penser. Ce qui m’intéresse, c’est de chanter pour les gens et leur donner du bonheur. Personne ne pourra enlever le fait que j’ai partagé soixante ans de vie avec les Français. Déjà, dans les couples, il n’y en a pas beaucoup aujourd’hui ! On a grandi ensemble, on a pleuré, on a ri…Je fais partie des familles françaises, je suis un peu la cousine éloignée que l’on est content de retrouver. Quand je vais faire Pleyel les 11 et 12 novembre 2022, pour fêter mes soixante ans de carrière, alors que j’ai quarante ans dans ma tête, je peux vous dire que ce sera une grosse fête. C’est notre vie.
Comment expliquez-vous que vous ayez pu ainsi traverser toutes les époques ?
Parce que je prends des risques ! Je vais là où l’on ne m’attend pas. J’ai horreur de la routine. Je ne regarde pas les médailles et les disques d’or. Ce qui est fait est fait. Ce qui m’intéresse, c’est ce que je vais faire demain. Je suis capable de tout faire. J’ai pris un gros risque, c’est ma vie, je ne peux pas ne pas me mettre en péril. J’ai besoin d’aller là où l’on ne m’attend pas, c’est ce qui fait le côté merveilleux de ce métier. Si l’on ne prend pas de risques, il ne faut pas faire ce métier, parce que c’est un métier à risques. On est tout le temps sur un fil. Je veux faire de ma vie une aventure. C’est fatigant, mais quel bonheur ! On ne peut pas tout avoir : soit on va à la retraite, ce qui n’est pas mon cas, soit on vit sa vie et on s’éclate. La plus grosse des richesses dans la vie, c’est la liberté.
En plus, vous gardez votre franc-parler !
Mais ne croyez pas que je vais faire des phrases et des phrases ! C’est juste le partage qui m’intéresse. Annie Cordy disait qu’aujourd’hui on fait une star en trois mois, alors que pour faire un artiste il faut trente ans. C’est tellement vrai ! Les gens ont commencé à comprendre que je suis une barjo dans mon genre. J’adore et j’assume. Je me sens bien. Je suis loin de mes vingt ans, je n’ai plus rien à cacher. Je dis ce que je veux et ce que je pense, et je suis très honnête. Dans une carrière, l’honnêteté paye toujours.
Je vais vous donner ma définition d’une star : dans un banquet de famille, vous avez l’arrière-grand-père, la grand-mère, les parents et les enfants, vous citez un nom et tout le monde le connaît…
Tout à fait. C’est quatre générations. C’est beaucoup de travail, mais aussi beaucoup de chance. Après, c’est le destin. Mais quelle vie !
Souvent, à un moment de sa vie, on a envie de se tourner vers son passé et d’aller revoir les lieux qui nous ont marqué : cela a finalement été votre démarche dans cet album…
J’ai l’âge pour me permettre de faire ça. On touche à tout et cela m’a permis de réaliser aussi que j’ai fait beaucoup de choses dans ma vie et plein de styles différents. Je suis la seule à avoir fait cela. Cela m’appartient et j’en suis fière.
Enfin, votre album s’appelle « Venue d’ailleurs » : s’il y en a une qui ne vient pas d’ailleurs, c’est bien vous…
Oui, mais cet album est venu d’ailleurs parce qu’il a traversé l’océan. Sur la pochette il y a des mains de toutes les couleurs autour de mon cou, cela veut dire quelque chose aussi. Ce qui est important dans la vie, c’est l’humain, ce n’est pas sa couleur de peau. Donc, c’est aussi une démarche. J’ai chanté « Blanc jaune rouge noir » qui était l’une des premières chansons contre le racisme, dans les années 70, et avec le temps qui passe, on réalise que ce qui est intéressant c’est l’humain, ce n’est pas sa couleur ou sa religion. C’est pour ça que j’ai voulu cette pochette avec des mains de toutes les couleurs.