L’invité de Yannick Urrien : du lundi au vendredi à 8h20 en direct sur Kernews
Stéphane Skoven publie une analyse poussée, avec de nombreuses références, dans laquelle il explique que la France n’est plus en possession de ses pouvoirs régaliens. Cela se ressent particulièrement dans l’appareil productif, que la France ne contrôle plus. Dans ce livre, Stéphane Skoven affirme que la situation que nous vivons aujourd’hui est pire que ce qu’elle était dans les années 1930. L’État n’a pas la puissance de feu, il s’est dépossédé lui-même de ses outils.
« Petit manuel de libération et d’indépendance de la France » de Stéphane Skoven est publié aux Éditions Perspectives Libres.
Extraits de l’entretien
Kernews : Dans votre livre, vous analysez nos pertes successives de souveraineté. Pourtant, le mot libération figure dans son titre, ce qui induit que nous sommes occupés, alors que nous n’avons pas été envahis par des forces hostiles. Mais nous avons abandonné volontairement les clés de notre souveraineté. N’est-ce pas une différence fondamentale ?
Stéphane Skoven : La notion d’occupation recoupe plusieurs aspects. La plus classique, ce sont les bottes. Mais il y a aussi la dette et de nombreux autres, comme le droit ou l’appareil productif. Effectivement, nous n’avons pas eu les bottes, mais nous avons toutes les autres formes d’occupation. Nous sommes particulièrement sous dépendance et, dans ce contexte, la logique de libération s’applique fortement. Au-delà, il y a la question de l’indépendance, parce qu’il n’est pas question de se retrouver dans les pattes d’autres personnes. On a plusieurs aspects de dépendance, notamment à travers les pouvoirs régaliens que sont battre monnaie, le droit, qui est transféré, la défense, à travers notre réintégration au sein de l’OTAN et l’application des lois. C’est tout ce qui constitue un État. Donc, la France n’est plus un État.
Nous avons abandonné tout cela volontairement…
Absolument. Marie-France Garaud expliquait cela très bien. Lorsque le budget est cadré par Bruxelles, c’est totalement public, cela montre bien que nous sommes sous dépendance. La réforme des retraites est aussi inscrite par Bruxelles. Il y a même la disparition des communes qui est au programme. Enfin, sur la question de la dette, on ne sait pas à qui elle appartient. On ne connaît pas les noms, alors que l’on sait très bien que c’est un outil essentiel pour mettre les États par terre. On connaît la Grèce qui s’est fait écraser en 2015, c’est un très bon exemple de cette mécanique.
Personne n’a obligé les Grecs à favoriser le marché noir et à ne pas payer d’impôts pendant des décennies, pour ensuite se plaindre quand des banquiers extérieurs sont venus remettre de l’ordre… À l’opposé, le Japon a eu l’intelligence de s’endetter auprès de sa propre population, donc ils sont toujours maîtres chez eux…
Ce sont de très bons exemples. Le Japon possède sa dette et l’on ne peut pas dire que nos dirigeants soient sur cette ligne. Dans les années 30, il y avait une dépendance de l’État, mais ce n’était pas identique, car il y avait très peu de prêts à l’étranger. La dette de l’État dépendait de la Banque de France qui était entre les mains de gens très politisés et qui avaient pour souci de tenir les rênes de l’État. Dans les dirigeants de la Banque de France, vous aviez de Wendel, dirigeant de la Fédération républicaine, le grand parti de droite de l’époque, tout en étant à la tête du syndicat patronal de l’époque. Autre exemple, avec le patron de Lesieur, qui finance l’extrême droite et qui est le représentant des petits porteurs. Donc, ce sont tous des gens qui sont en France, mais très politisés, alors que maintenant nous avons une dépendance extérieure. Nous nous endettons et ils s’enrichissent. Dans le même temps, toutes les puissances extérieures ont intérêt à cela, pour des raisons géopolitiques notamment. C’est ce qui fait que les États-Unis ont intérêt à ce que nous soyons toujours sous dépendance.
Comment reconquérir notre souveraineté financière ? Que pensez-vous de l’idée d’un grand emprunt national ?
Ce n’est pas une bonne idée, car la dépendance n’est pas simplement économique. Nous avons aussi une dépendance liée au droit. C’est un aspect que l’on néglige, alors qu’il est essentiel. Nous sommes dans un système d’engrenages. Quelqu’un comme Jean Monnet, banquier franco-américain en réalité, avait très bien expliqué qu’il faisait cela par engrenage pour éviter que les peuples reviennent en arrière. Je travaille au niveau des collectivités territoriales, c’est un exemple et, quand on fait une fusion entre des communes, on a toutes les peines du monde pour défusionner. Le système a été construit ainsi. C’est pareil pour tout. La question de fond n’est pas simplement financière, elle concerne l’économie au sens large, mais aussi la question du droit, et elle concerne aussi nos dirigeants politiques. Nous avons une classe politique qui a trahi en totalité. Il n’y a pas de parti politique de taille qui n’a pas trahi. Il n’y en a pas un seul qui est sur une ligne d’indépendance.
Mais n’est-ce pas un principe mondial ? Lorsqu’un pays en avale un autre, le nouveau pays va construire des routes, des aéroports et des écoles, sans se poser la question de savoir si ces infrastructures seront remboursées en cas de divorce…
C’est très juste. Quand on est dans une logique qui ne donne pas d’outils pour sortir, ou donne des outils qui rendent impossible la sortie, cela relève quand même d’une tromperie. Il est intéressant d’avoir une logique modérée car, face aux populations, on a affaire à des extrémistes. Les populations sont plutôt très modérées face à ce qu’elles vivent. On peut très bien accepter des délégations ou des agrandissements, mais on doit pouvoir aussi garder en tête le fait qu’il n’y a pas de démocratie s’il n’y a pas d’indépendance. Vous pouvez avoir une indépendance en démocratie, une dictature peut être indépendante, mais l’inverse n’existe pas : car, si un État n’est pas indépendant, ce n’est pas une démocratie. C’est le problème que nous avons. Nous avons des éléments démocratiques, notamment le vote, mais c’est un élément démocratique parmi d’autres. En Chine, vous avez huit partis politiques. Pour autant, ce n’est pas une démocratie…
Peut-on dire que la dernière fois où la France a fait preuve de libre arbitre – donc d’indépendance – c’est lorsque Dominique de Villepin a prononcé son discours à l’ONU contre l’agression américaine en Irak ?
Je pense que nous avons été très largement majoritaires à trouver que c’était un moment de dignité pour la France, parce que l’on retrouvait quelque chose que l’on avait connu à l’époque du général de Gaulle, à savoir une politique très proche des non-alignés. Je vous rappelle cette logique réunissait des gens comme Nasser en Égypte, Tito en Yougoslavie, Nehru en Inde…
Ces gens géraient leur famille, en l’occurrence leur peuple, de façon très différente, mais ils pouvaient échanger et coopérer…
Tout le monde avait comme seul objectif de s’extirper des logiques de soumission. Vous avez des grandes puissances qui n’ont comme intérêt que de dominer. Ce qui est essentiel, ce que l’on doit retenir de cette époque, en dehors de la probité, c’est l’indépendance qui se décline sur tous les aspects, notamment le droit, l’économie ou la défense. On a effectivement retrouvé une petite étoile très légère lorsque Dominique de Villepin a fait ce discours consistant à s’opposer à une guerre parfaitement illégale. On vient nous expliquer qu’il y a une guerre illégale en Ukraine, mais il faut quand même rappeler que les Américains ont mené deux guerres illégales, en Yougoslavie et en Irak. Avec Dominique de Villepin, on a eu quelqu’un d’équilibré et c’est très bien.
Pourtant, la notion de Nation n’existe plus pour une partie de la population qui estime qu’il faut se regrouper dans des grands ensembles, notamment pour favoriser le commerce : ainsi, il faut harmoniser la taille des toilettes et le grammage du papier toilette… Et si vous fabriquez des prises électriques, vous serez content d’avoir une norme commune pour pouvoir les vendre au sein de toute l’Union européenne…
Emmanuel Macron a été élu à 38 %, sans parler des gens qui ne s’inscrivent même plus. Je suis bien placé pour le savoir, puisque je m’occupe de cela au sein de plusieurs collectivités territoriales. Cela veut dire que la ligne mondialiste incarnée par Emmanuel Macron est très minoritaire. Cela ne veut pas dire non plus que le discours que je tiens est majoritaire. Quand il y a eu le phénomène des Gilets jaunes, on a bien vu que ces gens ont dégagé les deux partis politiques qui se disent d’opposition, alors qu’ils n’y sont pas réellement, sur cette question fondamentale de l’indépendance de la Nation. Tous ces gens, notamment des petits patrons, on les voyait avec des drapeaux français. Certains votaient pour Le Pen, d’autres pour Mélenchon, ce qui signifie que tous ces gens étaient sur une autre logique. Quand vous avez la sensation d’être trahi – comme quand vous aviez la sensation d’être occupé en 1940 – vous allez vers des priorités, sans faire des théories. Pour beaucoup de gens, le sentiment de dépossession est quelque chose de très concret. D’ailleurs, 80 % des Français soutenaient les Gilets jaunes. Donc, on a un taux de sentiment de dépossession du pays qui n’est pas très loin de ce chiffre. Sur la logique d’indépendance, c’est différent. La peur s’est installée, donc les gens ont peur de sortir de l’euro et de se détacher de l’Union européenne. On efface le fait que la France n’est pas un pays européen, mais un pays mondial, ce qui n’a rien à voir. Nous n’avons rien à voir avec l’Allemagne, l’Espagne ou l’Italie… Notre plus grand voisin, c’est le Brésil ! Il y a seulement la Chine, les États-Unis et l’Angleterre qui sont des pays monde. Les États-Unis sont un danger public, ils ont des bases absolument partout, il n’y a que chez leurs ennemis qu’ils n’ont pas de base. Cela ne veut pas dire que ce sont des monstres, mais qu’ils sont dans une logique d’expansion territoriale qui est évidente. Donc, nous devons raisonner en pays monde, sinon on décide de tout brader et de tout virer.
Pourquoi nos dirigeants sont-ils dans cette logique de dissolution du pays ?
Parce qu’ils ne sont attachés à rien. On ne va pas détailler, en parlant de soumission, de corruption, ou d’idéologie, on se perdrait à faire le tri là-dedans. Mais honnêtement, on s’en fiche. Quand on a des gens comme ça, la priorité, c’est de les mettre dehors. Ils ne sont pas là pour nous, à l’évidence. En Amérique du Sud, ce serait des gens qui seraient là, au service d’autres, pour organiser le pillage. Qui a permis l’optimisation fiscale ? C’est l’ensemble de ces gens, à l’Assemblée nationale comme au gouvernement, qui ont rendu possible l’optimisation fiscale : c’est-à-dire la capacité de jouer sur les flux de capitaux dans tous les sens. Si vous n’attaquez pas la question des flux, qui est absolument centrale, vous n’attaquez rien. Il y a des députés et des ministres qui ont accepté tout cela. Ces gens devront bien rendre des comptes à un moment donné.
Vous évoquez la question de l’optimisation fiscale : or les artisans ou les commerçants, qui ne sont pas concernés, sont tellement étranglés par les charges et les impôts, qu’ils s’imaginent que ceux qui luttent contre l’optimisation fiscale, luttent contre eux…
L’assujettissement volontaire à l’impôt est une question centrale. Quand on a la sensation que l’on est occupé, ou dépossédé, et que l’on se sert de notre argent pour de mauvaises choses, ce sentiment de dépossession est tout à fait normal, ce qui explique pourquoi toute une série de gens sont en colère. Il faudrait canaliser cette colère vers ceux qui ont organisé le détournement de l’impôt. Par exemple, pourquoi des grandes entreprises ne paient-elles quasiment pas d’impôt ? Pourquoi des grandes fortunes connaissent-elles parfaitement les systèmes pour contourner l’imposition ? En face, vous avez des artisans qui n’en peuvent plus. Les professionnels du bâtiment sont confrontés à des normes absolument énormes, pendant que des gens contournent absolument tout. Les gens ont raison d’être en colère. Maintenant, contre qui doit se tourner cette colère ? C’est sur ce point que la division est entretenue et c’est aussi sur ce point que les partis politiques jouent la trahison. Il faut faire une hiérarchie correcte en ciblant le problème principal et quitter les sujets subalternes. Par exemple, pendant la guerre, des gens venus de tous les bords se sont mis d’accord. Ils venaient de l’extrême droite, comme de l’extrême gauche, et ils ont travaillé ensemble parce que c’était leur vie qui était en jeu. Dans la Résistance, ils venaient de l’extrême droite ou de l’extrême gauche, et ils sont allés vers la gauche, c’est très clair, pendant que les autres, qui venaient de la gauche ou de la droite, sortaient de la République pour aller vers des logiques que l’on pourrait qualifier d’extrême droite. Ces questions de positionnement politique sont très importantes. On arrive souvent en se positionnant mais, si l’on analyse concrètement chaque personne, on s’aperçoit que ces gens ne sont pas du tout là où ils disent. On a un personnel politique qui se prétend à un endroit et qui n’y est pas du tout. La population ne va pas s’intéresser à toutes ces choses, parce qu’elle n’a pas le temps, mais on doit viser l’objectif principal : c’est-à-dire récupérer l’indépendance, récupérer des outils, tout cela pour réorganiser l’impôt. Pourquoi laisser des gens poursuivre ce pillage organisé, alors que cet argent ne sert qu’à acheter des politiques ?