Vincent Strauss est une personnalité du monde de la finance qui a notamment dirigé Comgest, une société de gestion avec plus de 40 milliards d’euros d’actifs sous gestion. Maintenant qu’il est à la retraite, Vincent Strauss a décidé de dire tout haut ce qu’il pense et sans langue de bois… Vincent Strauss est aussi le cofondateur de l’Institut des Libertés avec Charles Gave.
Kernews : Le gouvernement annonce un tiers d’impôts en plus et deux tiers de dépenses en moins. Ces chiffres sont-ils rassurants pour nos prêteurs ?
Vincent Strauss : Malheureusement, je fais partie des gens qui commencent à en avoir assez de cette classe politique, à droite comme à gauche, qui n’a qu’un seul mot à la bouche : toujours plus d’impôts ! Pour nous vendre des merguez, on nous explique qu’il y aura deux tiers de baisse de dépenses et un tiers de hausses d’impôts. Si l’on traduit entre les lignes, les hausses d’impôts, c’est une certitude, alors que la baisse des dépenses, c’est paroles, paroles… Nous voyons tous autour de nous, dans les administrations, et dans de nombreux domaines, par exemple sur la santé, la hausse hallucinante des dépenses liées à l’absentéisme, notamment depuis la crise sanitaire. On est dans un monde de fous. En France, on joue le non-travail. Le Français est un enfant gâté qui en demande toujours plus. Je ne sais pas ce que sera l’issue de tout cela, mais pour les entrepreneurs, la seule certitude que l’on peut avoir, c’est que dès que l’on essaye de mener une réformette pour réduire un peu le train de vie de l’État, qui est devenu obèse, c’est impossible. Appelons un chat un chat : on recrute des fonctionnaires pour nous casser les pieds toute la journée, parce qu’ils doivent justifier leur job ! Tous les fonctionnaires ne sont évidemment pas dans ce cas de figure. J’ai entendu quelqu’un me dire que sa maman était directrice d’un hôpital, qu’elle était mal payée en travaillant toute la journée comme une malade, alors que son père était très bien payé en ne foutant rien. On arrive dans un monde où dès que l’on veut essayer de mener une petite réformette pour réduire le train de vie de l’État, on nous explique qu’il faut taper sur les riches. La France emploie un nombre record de fonctionnaires par habitant, c’est un score mondial. Il n’y a que les pays dictatoriaux qui ont des scores plus négatifs que nous avec des gens qui sont payés à ne rien faire.
Les très riches sont déjà partis et si l’on s’attaque aux classes moyennes, en leur prenant 200 ou 300 € d’impôts en plus chaque mois, par exemple, ce seront un ou deux restaurants en moins chaque mois. Ce sont ces dépenses superficielles qui font tourner notre économie…
Bien entendu, je suis un entrepreneur qui a bien réussi et je n’ai aucun problème pour payer des impôts. Payer des impôts, pour des gens qui n’ont pas ma chance, pour des invalides, pour des hôpitaux ou des écoles, j’en serais presque fier. Mais payer beaucoup d’impôts pour que le gars de la SNCF qui est en grève en permanence parte à la retraite à 52 ans, avec une retraite qui est statistiquement deux fois et demie plus élevée que celle du Français moyen, ce n’est pas acceptable ! Je ne dis pas que ce sont de grands privilèges, mais le fait d’être bien payé pendant toute sa vie et s’arrêter à 52 ans, c’est quand même une rente de situation. L’inflation est assez forte et, même dans une pizzeria à Paris, vous n’avez plus une pizza à moins de 20 € ! Il ne faut pas oublier que c’est 135 francs. En 1999, une pizza coûtait 25 francs. Le prix a été multiplié par presque six et on peut multiplier cet exemple à l’infini. Malheureusement, les classes moyennes souffrent beaucoup de l’inflation. Ce qui s’est passé avec la hausse du prix du gaz, de l’électricité et du fioul a un impact colossal. Pour beaucoup de gens, 50 € par ci ou par là, c’est effectivement beaucoup d’argent, parce que la vie est difficile, surtout dans les grandes villes. À la limite, quand on a deux salaires, dans une ville moyenne de province, ce n’est pas le nirvana, mais pas dans les grandes villes. Cette inflation est au cœur du sujet. Vous avez des piles de dettes un peu partout et, pour cela, il faut deux choses : de la croissance à tout prix parce que tout implose en cas de récession. En filigrane, il faut analyser ce que disent les banques centrales car quand il y a des piles de dettes, elles sont toujours payées un peu par le débiteur, un peu par le créancier et un peu par l’inflation… Nous en sommes là aujourd’hui. Dans les métiers financiers, les gens sont devenus assez paresseux et, au lieu d’essayer de comprendre ce qui se passe, ils prennent le prêt à digérer que nous proposent nos banquiers centraux. On nous explique que l’inflation c’est fini : qu’il me soit permis d’en douter un peu, surtout quand on voit la situation budgétaire aux États-Unis avec un déficit de 2 000 milliards de dollars.
Comment se fait-il que dans le pays le plus taxé au monde, nos services publics soient en déliquescence alors que dans d’autres pays, que l’on présente comme des caricatures, comme en Russie, les services publics fonctionnent bien, les hôpitaux sont ultramodernes et le taux d’imposition est de 18 % pour un salaire de 200 000 €, contre 41 % chez nous… En plus, il y a l’effort de guerre !
Vous dites 41 % en France, mais si vous ajoutez la CSG CRDS, les surtaxes pour les hauts revenus, nous sommes à un niveau encore plus élevé. Vous mettez le doigt sur un vrai sujet. Dans les grandes démocraties, si vous avez un statut, comme dans la gendarmerie, vous ne pouvez pas avoir le droit de grève et, si vous avez le droit de grève, vous n’avez pas de statut. En France, il y a des tas de gens qui ont, en même temps, un statut et un droit de grève. Effectivement, leur capacité de nuisance est énorme. Il faut un peu de courage. Le statut des fonctionnaires remonte à 1946. On peut comprendre qu’après l’Occupation et l’épuration, il fallait protéger les fonctionnaires. Mais à l’époque d’Internet, on a un statut des fonctionnaires qui a 80 ans ! Quand on a besoin d’envoyer quelqu’un des Impôts de Paris à Nantes, on ne peut pas le faire, donc on paye quelqu’un à ne rien faire à Paris et on recrée le job à Nantes. Il faut quand même s’occuper sérieusement de cela. Si l’on a un statut, on ne doit pas avoir le droit de grève. Pour reprendre le cas de l’Italie, les salariés de l’équivalent de la SNCF italien n’ont pas le droit de prendre les clients en otages. On a bien vu la prise d’otages avant les JO chez nous. Le secteur public est inefficace et le secteur public déteste le secteur privé. Dans l’éducation ou la santé, le public coûte 100, alors que le privé fait la même chose pour 60 ou 70. Pour autant, les gens ne sont pas traités à coups de fouet, simplement aucune rente de situation n’existe.
Vous évoquez cet antagonisme permanent entre le privé et le public qui est propre à la France. Même dans des pays que l’on pourrait qualifier de sous-développés, celui qui détient l’autorité n’est pas sadique à l’égard du faible. Il va parfois chercher à prendre un billet à l’égard du moyen, mais sans chercher à l’emmerder, comme dirait Pompidou… Par exemple, en France, il n’y a pas de pitié vis-à-vis de la brave dame en voiture qui, par mégarde, oublie de mettre sa ceinture de sécurité ou téléphone à son mari pour dire qu’elle sera en retard…
C’est vrai. Il y a une inégalité énorme. Au début des années 80, vous pouviez choisir d’aller dans le public ou dans le privé et, pour le même type de job, vous pouviez gagner 100 dans le privé et 70 dans le public. Aujourd’hui, c’est l’inverse et quand vous gagnez 100 dans le privé, vous gagnez 120 dans le public. Le monde du public est une rente de situation payée par le monde du privé. Dans les pays normaux, comme en Allemagne, en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, les jeunes veulent devenir entrepreneurs, alors qu’en France les jeunes veulent travailler à la SNCF ou dans la fonction publique. Évidemment, on est bien payé, on ne travaille pas beaucoup et il y a de nombreux avantages. En plus, le public fait une concurrence déloyale au secteur privé.
Alors, après ce constat, comment protéger son épargne en cas de scénario à la grecque ?
La bonne nouvelle, c’est qu’il y aura une réelle réforme de l’État, notamment sur le statut des fonctionnaires. La mauvaise nouvelle, c’est que tout cela va être fait sous la contrainte de Bruxelles et de la BCE. Vous avez des pays qui sont très endettés, comme le Japon, mais en France on parle d’un taux d’endettement de 117 % et, si vous rajoutez les montants des fonctionnaires et assimilés qui ne sont pas provisionnés, vous atteignez les 240 %. Il faut arrêter d’être dans le déni, notamment sur la question de la retraite du secteur public. Au Japon, la dette est essentiellement détenue par les Japonais, alors qu’en France les Français détiennent moins de la moitié de la dette. J’ajoute que le législateur oblige les fonds à mettre beaucoup d’argent dans des obligations d’État en expliquant qu’une obligation ce n’est pas risqué, alors qu’une action c’est risqué ! C’était relativement vrai entre 1980 et 2020. On ne peut plus expliquer que les obligations d’État ne sont pas risquées. C’est dramatique, car beaucoup de particuliers ont remis beaucoup d’argent sur les fonds obligataires sans s’apercevoir que la dérive monétaire est très élevée. Aux États-Unis, sur les dix dernières années, la dette américaine a progressé en moyenne de 8 % chaque année. Chez nous, c’est un peu la même chose. Donc, pour répondre à votre question, ce qu’il ne faut pas avoir, ce sont des obligations, car c’est le meilleur moyen de se ruiner. Par défaut, on est obligé d’avoir une allocation sur les actions parce que, sur une longue période, les entreprises arrivent quand même à passer l’inflation. Dans tous les pays où il y a eu beaucoup d’inflation, comme Israël ou le Brésil, l’indice boursier a toujours progressé. Les investisseurs sont aussi beaucoup sur le monde d’hier avec des valeurs qui profitent de la baisse de l’inflation et des taux d’intérêt. Le monde entier est aujourd’hui très positionné sur les actions américaines et je trouve que c’est inconfortable. Une valeur comme Apple se traite à 32 fois les bénéfices, avec de gros problèmes de marché en Chine, donc je laisse cette opportunité à d’autres !
Investir dans de l’or ou dans des œuvres d’art, est-ce une opportunité ?
Il faut acheter des actifs que les banques centrales ne peuvent pas imprimer. Les biens réels, comme l’immobilier, représentent statistiquement une forme de protection sur une longue période. Toutefois, il faut faire attention à l’impact démographique dans les pays développés, mais aussi à l’impact fiscal. Donc, l’immobilier pour se loger, c’est une bonne chose, mais l’immobilier placement, avec les taux d’imposition et les risques, c’est une moins bonne chose. Il ne faut pas oublier que le propriétaire foncier est un salaud en France, donc il est normal de punir le méchant propriétaire face au gentil locataire. Dans ce contexte, il ne faut pas s’étonner qu’il soit de plus en plus difficile de trouver des logements en location. Finalement, on revient toujours aux actions. Aujourd’hui, les gens ne savent plus ce qu’est une mine d’or ou une mine d’argent, alors qu’avant on investissait toujours au moins 5 % dans une mine d’or. Aujourd’hui, un chargé de compte à l’UBS à Genève est probablement incapable de nommer plus qu’une ou deux mines d’or. Comme toujours, il faut faire des choses que les autres ne veulent pas toujours faire, c’est inconfortable, car il est plus confortable de bêler avec le troupeau autour de l’intelligence artificielle. Je ne dis pas que ce secteur n’ait pas d’avenir, mais ce n’est pas une vraie découverte, donc par définition les valorisations ne seront pas confortables. J’ai le sentiment que nous allons avoir un problème majeur sur le dollar. On sous-estime énormément en Occident le degré de haine qu’il peut y avoir dans la plupart des pays émergents, même à Singapour, à l’encontre de l’Occident. Ils ont compris que les États-Unis peuvent imposer leur système par le biais de la monnaie, car ils ont usé et abusé du dollar comme monnaie de réserve. La Chine ne va pas réussir à dézinguer le dollar du jour au lendemain, mais, comme beaucoup de gens me disent qu’il est impossible de le dézinguer le dollar, je réponds qu’en 1920 on disait qu’il était impossible de dézinguer le sterling comme monnaie de réserve du monde. Il faut bien comprendre qu’une partie de plus en plus importante de la population mondiale n’a plus forcément envie de replacer ses économies aux États-Unis. Henry Kissinger avait expliqué aux pays du Golfe que les États-Unis étaient prêts à payer le pétrole plus cher, en contrepartie du placement de cet argent en bons du trésor américain. C’était une martingale extraordinaire pour les États-Unis, qui pouvaient exporter des bouts de papier et importer des biens réels. On arrive au bout de ce mécanisme. Raisonner différemment, ce n’est pas confortable, notamment pour les salariés du système financier.