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Xavier Emmanuelli : « Les hommes sont des êtres de sens. J’ai mis du temps à comprendre que nous n’étions pas que des choses, des machines ou des mécaniques. »

L’ancien ministre, cofondateur de Médecins sans Frontières, fondateur du Samu Social et de SOS Crise, évoque les effets délétères du confinement.

Le docteur Xavier Emmanuelli décrit la détresse du confinement à travers le bilan de la plateforme SOS Crise. Le numéro de téléphone 0 800 19 00 00, centre d’écoute médico-psycho-social, a été instauré pour accompagner les citoyens pendant les périodes très anxiogènes inhérentes au confinement. Selon son étude, deux tiers des appelants ont plus de 40 ans, deux tiers des appels sont émis par des femmes et plus de la moitié des appelants présentent des signes de détresse psychique. Il s’agit aussi de détresse physique (26 %) et de détresse sociale (41 %).

Médecin urgentiste, Xavier Emmanuelli est le fondateur du Samu Social International, de l’Association Les Transmetteurs et de SOS Crise. Il est également le cofondateur de Médecins sans Frontières et il a été secrétaire d’État chargé de l’action humanitaire d’urgence sous la présidence de Jacques Chirac.

Extraits de l’entretien

Kernews : Vous estimez que ceux qui soutiennent que nous vivons une période provisoire et que tout rentrera dans l’ordre lorsque l’on aura trouvé un vaccin, d’ici à quelques semaines ou quelques mois, se trompent. Pour quelles raisons ?

Xavier Emmanuelli : Je pense que le virus est arrivé parmi nous et qu’il va rester longtemps. Ceci dit, on va comprendre ces mécanismes au fur et à mesure et on va trouver des médicaments, des molécules car, comme pour tous les virus que l’on a rencontrés, un jour ou l’autre on finit par gagner. Mais le virus est parmi nous et il ne repartira plus. On va devoir s’y habituer. Nous avons eu des virus qui nous ont accompagnés pendant très longtemps, comme la variole ou la polio : un jour ou l’autre, ils disparaissent, parce que l’on gagne. Le Sida est toujours là, il est parmi nous. Il n’y a pas de vaccin, mais on le domine, à tel point que c’est presque devenu une maladie chronique comme le diabète. J’ai deux copains qui l’ont eu il y a 25 ans, ils vont bien et ils ont des projets. Mais ils prennent des médicaments. On peut vivre très longtemps avec des médicaments : regardez l’insuline ou les antihypertenseurs, il y a même des immunologistes qui parlent de la santé insulinique. Si vous prenez correctement votre insuline, vous avez une vie normale. Je pense qu’il va se passer la même chose avec ce virus et que nous allons le dominer.

Comme il faut apprendre à cohabiter avec ce virus, dites-vous au gouvernement qu’il doit cesser de bouleverser nos vies ?

Il faut être transparent, il faut expliquer aux gens. Nous ne sommes plus à l’époque où l’on assénait des ordres, des contre-ordres et des vérités invérifiables. Il faut vraiment prendre les gens pour des adultes. Ils ont été abreuvés d’explications sur la santé, il y a même des émissions spéciales. Nous méritons que l’on nous explique un peu mieux ce qui se passe. Or, ce n’est pas le cas…

On a le sentiment que les gens les plus touchés par cette crise sont les personnes défavorisées, notamment les travailleurs pauvres et les sans-abris…

C’est exact. Regardez à quel point nous devons être solidaires ! En plein milieu du confinement, comme ils ne pouvaient pas rester dans la rue, on a mis beaucoup de SDF dans des gymnases et ils se sont contaminés les uns les autres. Très vite, on a fait des tests et on s’est aperçu qu’ils étaient tous contaminés. Et quand les gens sont contaminés, cela s’appelle un cluster. Or, dans ce cas, nous avons en quelque sorte créé un cluster artificiel ! Comme ces gens étaient contagieux, ils ont répandu le virus… Tout cela mérite un peu de solidarité et de générosité.

Pour cela, faut-il continuer de préserver la valeur travail ?

C’est exact et cela se fait d’abord avec de la confiance. J’ai été frappé de voir à la télévision le nombre de présumés experts qui se sont succédé et cela n’a pas rassuré les gens ! Je pense que l’on peut se tromper. Les politiques ne connaissaient pas ce virus. On nous a d’abord expliqué que les masques ne servaient à rien et, par la suite, que les masques étaient obligatoires… Ce n’est pas rassurant ! On aurait mieux fait d’expliquer qu’il y avait une rupture de stock et que l’on n’avait pas prévu cette crise, plutôt que de dire que l’on n’avait pas besoin de masques. Les gens sont adultes et, pour avoir confiance, ils ne doivent pas avoir l’impression que l’on nous ment. Ensuite, c’est la porte ouverte aux théories complotistes : pourquoi on nous ment ? Qu’est-ce que l’on nous cache ? Les laboratoires sont-ils derrière tout cela ? La réalité est bien plus simple, mais on doit être loyal avec les gens en leur expliquant très clairement ce qui se passe.

Je ne veux pas me priver de l’affection de mes proches. Je suis quasiment au bout de mon chemin et il y a cette sagesse qu’il faut avoir.

J’étais récemment à l’anniversaire d’un ami qui a 86 ans. Ses proches ont voulu faire une fête en petit comité, en respectant les gestes barrières. Mais il n’a pas voulu : il a préféré voir du monde, malgré les risques… J’ai compris qu’à son âge, la douleur de ne pas être avec son entourage, pour une belle soirée entre amis, aurait été plus vive que les dommages liés à la Covid 19 ! Alors, au diable les gestes barrières ?

Cet homme est un sage ! J’ai 82 ans et j’aurais tendance à penser comme lui, en me disant que je ne veux pas me priver de l’affection de mes proches. Je suis quasiment au bout de mon chemin et il y a cette sagesse qu’il faut avoir. La mort fait partie de notre statut biologique, c’est quelque chose de normal. Je m’intéresse beaucoup à la mort à domicile, entouré de l’affection des siens, plutôt que de mourir dans l’anonymat d’un hôpital. C’est aussi un territoire à conquérir. Bref, l’homme dont vous parlez est un sage et je le comprends. Cela vaut le coup d’être aimé et cela passe par les rapports sociaux et affectifs. L’altérité est mise à rude épreuve en ce moment. Vous voyez des gens masqués partout ! Si je retire mon masque, je suis en danger et je suis un danger pour les autres. Si l’autre retire son masque, il est en danger et il est un danger pour moi. Donc, le consensus social disparaît avec le vivre ensemble, dans cette période très étrange où l’on est masqué, furtif, presque clandestin dans la ville… Quand on va au travail, on s’expose. C’est donc un moment très difficile pour l’altérité. Je pense aux jeunes de 20 ans : comment font-ils pour se plaire et pour séduire ? C’est une période difficile à traverser. On va s’en sortir, parce que l’humanité s’en sort toujours. Mais c’est quand même pénible.

Ainsi, la contrainte du masque sur la plage, le confinement, le couvre-feu, tout cela ne rime à rien, vous préférez une vie plus libre tout en respectant évidemment les gestes barrières et le port du masque lorsque l’on se trouve dans un espace clos… Est-ce votre discours ?

J’ai créé une plate-forme d’appels pour les personnes qui sont totalement isolées, SOS Crise, pour écouter les gens seuls et déboussolés. Nous avons des bénévoles qui décrochent très rapidement et qui sont formés. Un sourire, cela s’entend au téléphone ! Et nous comprenons très vite ce qu’ils veulent au bout de quelques minutes. Les gens parlent pendant 15 à 25 minutes, nous les comprenons et nous les orientons. Vous voyez toute l’angoisse du monde, cette frustration, cette violence quotidienne… Il y a eu un traumatisme général et, pour faire résilience, c’est difficile. Les enfants qui ont été enfermés pendant six semaines avec leurs parents qui se disputent, parce que c’est une situation très frustrante, se souviendront toute leur vie de ce moment ! Nous traversons une zone de tempête et il faut s’intéresser à la symbolique de ce qui se passe. Rappelez-vous, on a applaudi les soignants, on a manqué de transcendance, de ritualisation et de symbolisme, alors que les gens ont besoin de sens et de confiance.

Écrit par Rédaction

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