L’historien breton révèle les circonstances de l’assassinat de l’abbé Perrot
C’est le sujet sensible en Bretagne : il s’agit de l’abbé Perrot. La déclassification de nombreuses archives régionales a permis à Yves Mervin de poursuivre son enquête sur ce crime. L’historien breton ouvre un dossier délicat. Il affirme que l’ordre d’assassinat a émané du seul Parti communiste et que la version impliquant les gaullistes relève à la fois d’une affabulation et d’une diversion. Depuis la publication de son livre, il est invité à donner des conférences dans toute la Bretagne, au grand dam des associations d’extrême gauche qui veulent parfois faire interdire sa prise de parole.
« Jean-Marie Perrot, 12 décembre 1943, un crime communiste », d’Yves Mervin, est distribué dans de nombreuses librairies bretonnes et sur Coop Breizh.
L’invité de Yannick Urrien : Yves Mervin
Kernews : D’abord, pouvez-vous nous rappeler qui était l’abbé Perrot ?
Yves Mervin : L’abbé Jean-Marie Perrot a développé une grande activité religieuse et culturelle. Il est devenu prêtre après avoir suivi l’école des frères de Guingamp et il a été ordonné à Quimper en 1920. On lui doit un recueil de chants de poèmes traditionnels bretons dans le Léon. Il a animé la revue Foi et Bretagne et on lui doit aussi l’animation de nombreux événements culturels et religieux. Il avait donc une influence très importante.
Peut-on comparer l’aura de l’abbé Perrot, avec par exemple celle de l’abbé Pierre après la Seconde Guerre mondiale ?
La comparaison est justifiée et d’autres le comparent à Saint Yves. C’est quelqu’un qui avait vraiment une aura. Lors d’une conférence récente, j’ai rencontré une dame qui avait 13 ans en 1944 à Scrignac et qui l’a bien connu. Ce sont toujours les témoins qui l’ont connu qui en parlent avec le plus de ferveur et de reconnaissance.
Ce n’était pas simplement un prêtre, c’était aussi un influenceur…
C’était effectivement un influenceur. J’évoque un crime communiste. Cela résume très bien la thèse de mon livre, parce qu’il y a une thèse concurrente qui voudrait que les gaullistes soient à l’origine de l’assassinat de l’abbé Perrot. C’est une version de diversion que je démonte complètement. C’est le seul Parti communiste qui est bien à l’origine de l’assassinat de l’abbé Perrot. On entend dire que c’était un collaborationniste. En juin 1943, les Allemands, qui s’attendent à un débarquement, installent des divisions près des côtes et un régiment s’installe dans le presbytère du curé à Scrignac. On présente cela comme un fait de collaboration, mais il n’a rien demandé. Ce sont les Allemands qui sont venus.
N’y a-t-il pas une volonté de faire croire que tous les patriotes bretons ont été des collabos après la Seconde Guerre mondiale ?
La collaboration, c’est une politique du gouvernement français vis-à-vis du vainqueur allemand, à l’initiative du maréchal Philippe Pétain. Quand la collaboration se met en place, le rêve de quelques indépendantistes bretons, celui d’avoir un État libre, s’évanouit forcément à ce moment-là. Par conséquent, les Bretons sont les victimes de la collaboration et c’est un contresens énorme que de dire que c’étaient des collaborationnistes. Quand les Allemands sont arrivés, les autonomistes bretons ont été écartés, car lorsque la France a commencé à collaborer avec l’Allemagne, l’une des conditions de cette collaboration était la conservation de l’intégrité du territoire, donc que la Bretagne ne soit pas séparée de la France à ce moment-là. Quand cette situation s’est décantée, les indépendantistes bretons ont bénéficié de ce que l’on appelle une protection culturelle. Ils ont pu avoir accès à la radio ou à des journaux et même créer des manifestations. D’ailleurs, le mouvement culturel breton a énormément progressé pendant l’Occupation. Mais cela ne signifie absolument pas une collaboration ou une adhésion aux thèses nazies. Cela n’a absolument rien à voir.
L’abbé Perrot était anticommuniste…
Il avait des informations en provenance de Russie faisant état de toutes les persécutions de l’Église orthodoxe par les bolcheviques, puis les staliniens, avec des prêtres qui ont été tués, déportés, ou soumis à des travaux forcés. Les persécutions contre l’Église orthodoxe étaient connues et Jean-Marie Perrot en avait fait état dans sa revue. Il était en avance sur son temps. Aujourd’hui, c’est tout à fait reconnu, mais à l’époque il était l’un des premiers à dénoncer cette réalité. En 1943, le Parti communiste espère prendre le pouvoir à la Libération. Il fallait transformer la guerre impérialiste en révolution prolétarienne. Cela a marché en 1917 en Russie. La guerre entre les empires allemand et russe s’est arrêtée lors de cette révolution et ils ont ensuite pu mettre en place la société communiste dont ils rêvaient. Le Parti communiste français rêvait de cela en 1943. Un an plus tard, les communistes n’ont pas pris le pouvoir, car, au départ des Allemands, ce sont les Américains qui arrivent, avec les gaullistes qui prennent les préfectures. Staline est indécis, il observe le débarquement, il constate l’arrivée des Américains, l’ouverture du front de l’Ouest et la prise de pouvoir des gaullistes. Il donne comme mot d’ordre à Maurice Thorez : « Un seul État, une seule armée et une seule police ». Donc, il n’est plus question de lancer la révolution prolétarienne et c’est clairement un ordre de Staline à la fin de l’année 1944.
Le grand public ne connaît pas cette partie de l’histoire et il associe encore l’abbé Perrot à la collaboration…
Je n’ai pas forcément le sentiment de révéler des choses. Beaucoup de choses ont déjà été dites. Cette accusation de collaboration n’a aucun sens. On l’accuse aussi d’avoir dénoncé des résistants, mais il n’y a aucun élément concret face à cette accusation. C’est une accusation qui est propagée par beaucoup de gens. Cela va continuer, mais j’espère que mon livre va marquer une étape dans cette évolution de la mémoire.
Quel message retenir ?
J’accorde une importance aux faits et, si cela remet en cause toute la légende de la Résistance, tant pis. Si l’on ne s’attache pas à bien comprendre les faits, on ne comprend pas le passé et l’on est aussi moins bien armé pour l’avenir.
Votre livre dérange, donc il y a des vérités, mais des associations réclament l’interdiction de vos conférences…
D’abord, je m’appuie sur l’ouverture des archives. En 2005, il fallait demander des dérogations pour consulter certains dossiers. Mais depuis 2015, c’est librement communicable. N’importe qui peut aller aux archives là où je suis allé. Je cite toutes mes sources et chacun peut aller voir où je suis allé chercher mes informations. Donc, écrire l’histoire avant l’ouverture des archives, c’est avoir pris beaucoup de risques. Certains historiens devraient revoir ce qu’ils ont écrit. Effectivement, quand on découvre ce que l’on découvre, si cela a été censuré pendant plus de soixante ans, c’est bien parce que ce sont des choses très surprenantes. Je suis parfois accusé de salir la Résistance, mais le problème c’est que ce n’est pas moi qui salis : je ne fais que rapporter la réalité.