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Yves Métaireau : « J’aime cette France qui a parfois le sentiment d’être abandonnée. »

Yves Métaireau a été un homme public de premier plan sur la Presqu’île pendant plusieurs décennies : élu pendant 40 ans, maire de La Baule durant 25 ans et président de Cap Atlantique pendant 20 ans, il relate son parcours dans un ouvrage intitulé « Les Tribulations d’un maire de France, de La Baule au monde », qui est disponible dans toutes les librairies de la Presqu’île.

Dans un précédent entretien, nous évoquions la carrière politique et le parcours idéologique d’Yves Métaireau (Lien vers l’interview). Cette fois-ci, il s’agit de son itinéraire professionnel, notamment sur le plan international.

Yves Métaireau organise plusieurs séances de dédicaces à La Baule :

Samedi 8 avril à 11h à la Maison de la Presse des Palmiers, avenue Lajarrige.

Samedi 15 avril à 11h à la Maison de la Presse, avenue de Lattre de Tassigny.

Samedi 13 mai à 11h à la librairie Lajarrige, avenue Lajarrige.

Kernews : Nous avions évoqué, lors d’un précédent entretien, les racines de votre construction idéologique. Dans votre livre, vous rendez hommage à deux personnalités : Olivier Guichard pour votre vie politique et Paul Legueu pour votre vie professionnelle. Comment avez-vous commencé ?

Yves Métaireau : J’ai eu la chance de rencontrer Paul Legueu par une relation. Il était avec son épouse, Ghislaine, qui s’occupait des finances et j’avais été épaté après une conférence qu’il avait donnée à la Chambre de Commerce de Saint-Nazaire. Il avait une parfaite connaissance des véhicules qu’il produisait, mais aussi de l’étranger, puisqu’il faisait uniquement de l’exportation. Il a eu la chance que le général de Gaulle, après avoir donné l’indépendance à la plupart des pays d’Afrique, crée le ministère de la Coopération. L’objectif était de donner du matériel et des coopérants aux pays nouvellement indépendants, parce que l’Afrique francophone était une création de la France, de la même manière que l’Afrique anglophone était une création de l’Angleterre. Les anciens colonisateurs ont voulu pérenniser cela. Sinon, les ethnies africaines – qui n’ont rien à voir avec les frontières réalisées par les Français – auraient sans doute créé des perturbations et désintégré le système que nous avions mis en place. Au Togo, il y a environ 120 ethnies et chacune a envie d’avoir le pouvoir. Il faut bien connaître l’Afrique et c’est Jacques Foccart, sous l’égide du général de Gaulle, qui a créé ce que l’on appelle aujourd’hui la Françafrique, mais qui a permis à tous ces pays de réussir leur stabilité en attendant leur progression économique.

À La Baule, ceux qui ne vous connaissaient pas disaient à un certain moment que vous étiez des marchands d’armes…

Non. L’ACMAT est une entreprise moyenne, qui avait entre 120 et 150 employés, et qui produisait des camions tout-terrain. Ces camions pouvaient être utilisés en véhicules militaires, mais aussi en véhicules incendie, ambulances, ou également en véhicules sur lesquels on pouvait mettre des armes. La grande majorité des camions étaient vendus par le ministère de la Coopération ou des agences d’État, qui fournissaient éventuellement des armements.

 Le véhicule de l’ACMAT a remporté le Paris-Dakar et c’est ce qui a vraiment fait connaître l’entreprise…

Nous avions vu Thierry Sabine. Il avait séduit mon patron et il voulait faire le Paris-Dakar en camion de maintenance capable de traverser le Sahara. À cette époque, ce n’était pas aussi dangereux qu’aujourd’hui. On lui a proposé deux véhicules et nous avons gagné deux années de suite. La première fois, en 1981, nous sommes allés à Dakar fêter l’arrivée du camion sur le Lac Rose. Cela montrait l’aptitude de ce véhicule très spécial, qui pouvait gravir des pentes à 60 %, avec une autonomie de 1600 kilomètres, un réservoir d’eau de 200 litres pour les hommes et l’on pouvait y intégrer de nombreux équipements. C’était un camion d’une simplicité extraordinaire à réparer et à entretenir. Il avait fait ses premières armes au Zaïre, lors de Kolwezi, où la Légion étrangère et les Marocains avaient parachuté des camions, puisque ce camion était parachutable. Les Angolais ont été surpris de voir arriver dans le ciel des camions pour libérer les otages… Malheureusement, il y a quand même eu une centaine de morts. Le ministère de la Coopération a été créé par le général de Gaulle et les premiers camions ont été vendus en Mauritanie, au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Donc, on était sûr d’être payé. Ensuite, les pays achetaient des pièces détachées et des véhicules en complément. Après, il y a eu la guerre du Tchad. Nous avons vendu beaucoup de véhicules, environ 250, au moment où Kadhafi s’était lancé dans une opération scabreuse. Il avait oublié que Charles Hernu était ministre de la Défense à ce moment-là et qu’il n’avait pas du tout envie de céder ce territoire à Kadhafi. Les Tchadiens sont de redoutables combattants, sans doute la meilleure armée d’Afrique. C’était vraiment la grande peur des Libyens. Ils ont repoussé les Libyens sur leur frontière avec l’aide des Français et c’était un moment important pour la vente de véhicules. Après, tous les pays africains ont reconnu ce véhicule léger de reconnaissance et d’appui. C’était le seul véhicule capable de faire des kilomètres tout en étant facile à entretenir et à réparer, ce qui permettait de gagner des guerres de guérilla.

L’Afrique occupe une place importante dans votre livre avec des rencontres épiques, notamment Omar Bongo, à l’époque président du Gabon, qui avait réussi l’exploit d’être en même temps franc-maçon, catholique et musulman…

Sa garde présidentielle était composée d’anciens parachutistes français d’Indochine, commandés par l’un des généraux les plus décorés de France. Il y avait des coopérants gendarmes français en Afrique et nous avons vendu 200 véhicules à la gendarmerie gabonaise. J’ai rencontré Michèle Cotta qui devait interviewer Omar Bongo. Elle faisait le pied de grue à la porte du palais présidentiel et elle n’était pas très contente de ne pas être dans les personnalités reçues immédiatement. J’ai aussi un autre souvenir : tout le monde n’allait pas en Somalie à l’époque, parce que c’était extrêmement dangereux, et j’ai eu la chance d’être reçu par le président Siad Barré. Il m’a acheté 200 camions qui ont été payés rubis sur l’ongle par les Somaliens. Beaucoup de pays ont voulu acquérir le savoir-faire français, mais cela posait un problème de souveraineté technologique, parce que de nombreux industriels français ont accepté de donner leur savoir-faire à des pays. Nos conditions étaient les suivantes : il fallait commander au moins 200 véhicules et ensuite acheter les brevets, les modèles et les marques.

Autre moment fort : lors de la Marche verte en 1975, le Sahara dit espagnol est revendiqué par l’Algérie qui ne l’occupe pas directement, mais qui met en place une fausse organisation qui s’appelle le Polisario. Le risque de guerre est important et le roi Hassan II a l’idée de demander à son peuple de marcher vers le Sahara pour conquérir ce territoire, en estimant que les Algériens n’oseront pas tirer sur des centaines de milliers d’hommes… 

Hassan II était un entraîneur. Il a eu l’idée de demander à sa population d’aller à pied, vers le Sud, pour bien montrer que le Sud marocain était marocain. Parallèlement, il a demandé l’aide de la France pour ses armées. Nous avons vendu près de 500 camions militaires au Maroc, puis ensuite à la gendarmerie marocaine. Le Maroc était probablement notre plus gros client pour ces véhicules, et le plus fidèle aussi.

Par ailleurs, il y a eu des contrats ratés, notamment avec l’Irak, au moment de la guerre contre l’Iran…

C’est folklorique, c’était à la suite d’une rencontre avec un personnage connu, Charles de Chambrun…

Il était ministre du général de Gaulle, membre du RPR, avant de finir au Front national…

Oui. Il nous a expliqué qu’il avait de bonnes relations avec Saddam Hussein, que nous pourrions rencontrer un général chargé des achats de matériel et qu’il suffirait d’aller à l’aéroport de Bagdad, où l’on nous attendrait : « Ne vous inquiétez pas, vous allez rencontrer toutes les personnalités… » Nous sommes arrivés à Bagdad en pleine nuit. Tout était éteint, parce que c’était la guerre. C’était une guerre difficile, avec l’occupation du Sud par les Iraniens, et nous n’étions finalement pas attendus. Nous avons atterri dans un hôtel un peu moche et le lendemain j’ai fait de mon mieux pour essayer d’avoir un rendez-vous. Nous avons obtenu un rendez-vous avec un colonel qui semblait être des renseignements généraux, donc il n’avait aucun pouvoir, mais il voulait savoir si nous ne venions pas faire de l’espionnage à Bagdad, parce que c’était un pays sous haute surveillance. Il s’est rendu compte que nous étions de bonne foi. Nous lui avons montré nos catalogues et, comme il ne s’est rien passé, nous sommes repartis sans avoir vendu le moindre camion à l’Irak… À l’inverse, nous avons vendu des camions en Arabie saoudite au moment où Saddam Hussein a attaqué le Koweït en envoyant contre l’Arabie saoudite des scuds, qui tombaient dans l’eau parce que les Irakiens ne savaient pas les guider…

Tout cela vous a conféré une vision géopolitique incroyable et également une capacité de tolérance…

J’étais aussi devenu un spécialiste de l’Afrique anglophone. J’ai vendu des camions au Ghana et au Zimbabwe, avec un très beau contrat. C’était un pays remarquable, malheureusement dirigé par un fou, en l’occurrence Mugabe, qui a ruiné son pays. J’ai aussi été en Libye et un peu en Amérique latine, au Venezuela notamment, mais cela a été un échec en raison de la corruption de ce pays. Finalement, c’est au Moyen-Orient et en Afrique que nous avons le plus réalisé d’affaires et de contrats. J’ai beaucoup aimé l’Afrique. Mais cela a beaucoup changé aujourd’hui. Les Français ne sont plus les bienvenus comme à l’époque et la situation n’a pas évolué dans le bon sens. Ce qui était formidable, c’est que l’on parlait français, notamment au Cameroun. J’ai de très bons souvenirs. Tous ces pays nous réservaient un accueil extrêmement chaleureux.

Cela vous amène-t-il à essayer de comprendre les conflits en vous mettant dans la peau des protagonistes sans porter un regard manichéen ?

Je ne suis pas du tout manichéen. Je ne pense pas qu’il y ait le bien d’un côté et le mal de l’autre. Il faut acquérir de l’expérience en étant indulgent. Il n’est pas toujours facile de diriger un pays, sur le plan économique, social ou environnemental. Quand on a beaucoup voyagé, en fréquentant beaucoup de chefs d’État et d’hommes puissants, on acquiert une certaine philosophie et surtout beaucoup de tolérance à leur égard. Cela donne une tournure d’esprit, une expérience et une forme de tolérance. J’aime la France, j’aime La Baule, j’aime cette France qui a parfois le sentiment d’être abandonnée. J’ai eu la chance d’être maire dans une région extraordinaire. Les écrivains optimistes, comme Jean d’Ormesson, disent qu’ils ont eu la chance de bien vivre et d’être heureux, et je dirai la même chose en ayant eu la chance d’être maire de La Baule. Je n’ai pas eu que des moments faciles à la mairie de La Baule, mais finalement ce sont des moments extrêmement heureux que j’ai passés ici. Je pense avoir un contact humain relativement facile. J’ai aussi eu la chance d’avoir une épouse et des enfants qui ont accepté que je ne sois pas là très souvent.

Enfin, en politique intérieure, vous citez Ségolène Royal qui vous a déçu…

Elle n’a pas fait preuve de beaucoup de tolérance, Ségolène Royal, elle m’a pourri mon dernier mandat avec l’histoire du décret plage ! Le décret plage avait été signé par Dominique de Villepin, Nicolas Sarkozy et Roselyne Bachelot, mais il n’a pas été appliqué à La Baule. Il y avait une forme de tolérance, ce qui a permis aux établissements de plage de se développer. Mais quand Ségolène Royal est devenue ministre de l’Écologie, elle a décidé de manière abrupte, sous la pression de différentes associations environnementales, d’appliquer ce décret dans les trois mois qui venaient, avec le démontage de l’ensemble des établissements de plage. Elle voulait une plage sans aucun établissement pour le mois de décembre de cette année-là. C’était une catastrophe. Entre lancer des consultations pour accorder des concessions, démonter les établissements, les remonter, obtenir des permis de construire conformes, on perdait presque deux ans, c’est-à-dire au moins deux saisons. J’ai demandé des délais à Ségolène Royal. Elle ne m’a jamais reçu et je n’ai jamais pu obtenir de délais. J’ai été sauvé par les élections… Finalement, Emmanuel Macron a été élu. Édouard Philippe, que je connaissais bien, m’a permis d’avoir une préfète beaucoup plus à l’écoute et qui nous a donné des délais pour réussir ce changement des établissements de plage.

Écrit par Rédaction

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