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Jean-Charles Tacchella : « Laurel et Hardy sont inoubliables, comme Charlie Chaplin ou Buster Keaton. Il faut dire que l’on n’a jamais eu mieux que tous ces grands comiques du cinéma muet. »

Les mémoires d’un grand du cinéma français

Jean-Charles Tacchella fait partie des rares grands noms du cinéma français et il a côtoyé les stars du septième art en débutant sa carrière comme journaliste. Il a travaillé avec des réalisateurs et des acteurs prestigieux comme François Truffaut, Frank Capra, Jean Renoir, Marie-Christine Barrault, Maurice Ronet, Marie-France Pisier, Brigitte Fossey, Jean-Pierre Bacri ou Catherine Frot… Il faut aussi savoir que c’est lui qui a commencé à écrire le scénario de  « La Grande Vadrouille » avec son complice Gérard Oury. À partir de 1973, Jean-Charles Tacchella est passé derrière la caméra et il a réalisé, en près de trente ans, une dizaine de longs-métrages, parmi lesquels figurent de grands succès populaires comme « Cousin Cousine » (1975) et « Escalier C » (1985).

Dans son livre, « Mémoires », il relate une foule d’anecdotes sur le monde du cinéma où il a côtoyé les plus illustres. Cet entretien a été réalisé à l’initiative de son ami Tony Molière, ancien producteur de films, qui dirige le cinéma Gulf Stream à La Baule. Jean Charles Tacchella, qui est âgé de 93 ans, nous a reçu en pleine forme dans son domicile de Versailles. Malheureusement, il ne sort plus depuis 7 ans, car il s’occupe de son épouse, paralysée, qui a été victime d’un accident de la route. 

« Jean-Charles Tacchella, mémoires » est publié chez Séguier.

Extraits de l’entretien

Kernews : Vous publiez vos mémoires, un ouvrage de près de 900 pages. Or, il paraît que vous dû supprimer de nombreux chapitres !

Jean-Charles Tacchella : Au départ, je voulais faire deux livres : un sur mes films et un autre sur ma vie de scénariste et de journaliste. Les éditeurs m’ont expliqué que l’on ne pouvait pas vendre deux livres de souvenirs en même temps. Mais tout ce qui est important est dit dans ces 900 pages…

Vous avez commencé votre carrière dans le journalisme. D’ailleurs, on remarque que de nombreux grands de ce métier ont débuté dans le journalisme ou la publicité, à des postes d’observation de la société et des tendances. Est-ce un point fort pour aborder le cinéma ?

J’observais surtout les gens de cinéma, puisque j’étais spécialisé dans le cinéma. Après la Libération, on a vu apparaître le premier journal dédié au cinéma, « L’Écran Français », et je suis tout de suite allé m’y présenter. J’avais 19 ans, je venais d’arriver à Paris et j’avais l’habitude d’aller tous les matins lire les journaux. Il y avait un centre américain près de l’Opéra et nous lisions tous les journaux américains. Je lisais la rubrique spectacles et j’étais au courant de tout. Je suis allé me présenter à « L’Écran Français » en leur disant : « Savez-vous que Jean Renoir n’arrive pas à monter son film ? Que Fritz Lang commence demain un film ? » J’étais au courant de tout ! Du coup, ils m’ont engagé…

C’était une époque charnière, puisque c’était la fin du cinéma muet. Les films parlants n’existaient que depuis seulement 15 ans et vous écrivez que l’on est encore dans l’innocence, l’audace et la découverte…

J’ai débuté dans le journalisme en 1945 et c’était déjà un riche cinéma parlant, avec des vrais créateurs. J’avais envie de connaître les stars. Je faisais parfois trois à quatre interviews par jour. J’allais rencontrer tous les Américains qui arrivaient à Paris juste après la guerre. Ils descendaient toujours dans les mêmes hôtels et j’appelais les concierges des grands hôtels, comme le George V ou le Crillon, en les testant à travers une question : « William Wyler est-il arrivé ? » Ils me répondaient : « Ah non, c’est jeudi prochain… » Alors, j’étais le premier à leur sauter dessus !

Par exemple, vous passez un long moment avec Stan Laurel et Oliver Hardy…

Effectivement, j’ai passé tout un après-midi avec eux et leurs femmes, nous avons pris le thé. Ils faisaient des tournées en Europe pour gagner leur vie. C’était un numéro sur scène, moins bien qu’au cinéma, mais j’étais très content de les connaître car ils étaient vraiment passionnants. Oliver Hardy avait vu beaucoup de films, mais celui qui s’y connaissait le plus était Stan Laurel. Stan faisait la mise en scène de tous les films et tous les découpages étaient décidés par Stan.

Comment se fait-il que ces stars du cinéma muet, que l’on connaît encore aujourd’hui, n’aient pas franchi le cap du cinéma parlant ?

Laurel et Hardy sont inoubliables, comme Charlie Chaplin ou Buster Keaton. Il faut dire que l’on n’a jamais eu mieux que tous ces grands comiques du cinéma muet ! Ensuite, il y a eu des gens comme Jacques Tati, mais le muet avait une force que ne peut pas avoir le cinéma parlant : c’est la force d’aller loin dans le comique et dans l’émotion. À partir du moment où il n’y a pas les paroles, vous pouvez aller beaucoup plus loin. À partir du moment où le cinéma est parlant, il est plus réel, plus vrai et l’on ne peut pas aller aussi loin dans la fantaisie.

Il y a aussi Orson Welles, qui se goinfrait de pâtisseries à chaque rencontre…

Quand je l’ai connu, il avait une trentaine d’années et il était mince encore. Un jour, on se croise à Venise, on prend un petit-déjeuner et, pendant les deux heures d’interview, il a dû absorber une quinzaine de cafés avec deux plateaux entiers de pâtisseries. Je me suis dit : « Il va grossir ! »

Beaucoup plus tard, vous êtes très ami avec Gérard Oury et vous racontez qu’il s’est inspiré de Laurel et Hardy pour créer les duos entre Louis de Funès et Bourvil…

Oui. Gérard adorait le burlesque. Il avait envie de créer un couple et il a eu l’idée de rassembler Louis de Funès avec Bourvil. Mais, à l’origine, c’est Louis de Funès qui l’a poussé à aller vers le comique. J’avais écrit avec Gérard un film qui s’appelait « Le crime ne paie pas », un film à sketches avec beaucoup de vedettes, et nous avions Louis de Funès dans un rôle de barman, après la guerre, qui recevait un commandant américain. Plus le barman parlait, plus il prononçait des mots allemands, alors qu’il essayait de parler en anglais, et le spectateur comprenait qu’il avait été un affreux collabo ! C’était joué magistralement par Louis de Funès. À la fin du tournage, on était plié en deux, et Louis de Funès dit à Gérard Oury que l’on devait faire des films comiques.

Que s’est-il passé avec « La Grande Vadrouille », puisqu’il paraît que vous avez commencé à écrire le scénario de ce film ?

Nous avons été engagés, Gérard et moi, pour écrire un scénario pour une comédienne. Nous avions écrit l’histoire d’un groupe d’aviateurs américains qui tombent en France avec leur avion sous l’Occupation et ils se cachent chez des gens. Il y a deux filles, dont l’une a des amis dans des maisons de rendez-vous et l’autre est plutôt religieuse… Chacune emmène trois Américains en zone sud. Mais, lorsqu’ils arrivent, la zone sud est occupée par les Allemands et ils doivent tout recommencer. C’est un film que Gérard Oury devait déjà tourner comme metteur en scène, mais le producteur a considéré que nous étions trop jeunes et il nous a imposé un auteur plus âgé, Léo Joannon. Mais on ne s’est pas mis du tout d’accord et le film est tombé à l’eau… Quelques années plus tard, après le tournage du « Corniaud », Gérard me téléphone un matin en me disant : « J’ai eu cette nuit l’idée de transformer les deux rôles féminins en les donnant à Bourvil et à Louis de Funès ». Et c’est devenu « La Grande Vadrouille » ! Mais, à l’époque, je me battais pour faire un film comme metteur en scène et je n’ai pas travaillé sur la version définitive. C’est pour cette raison qu’il n’y a pas mon nom.

Tony Molière, que vous connaissez bien, est avec nous…

Il a fait la distribution de l’un de mes films préférés, qui a reçu une critique formidable : c’était « Voyage en Grande Tartarie » . Malheureusement, on n’a jamais fait de DVD. Pour moi, c’était un départ formidable.

Vous aviez quand même dû affronter les foudres du ministère de l’Intérieur à l’époque…

C’était une rivalité contre le producteur du film, Marin Karmitz. Je ne sais pas pourquoi le ministère en voulait à Karmitz qui était de gauche, alors qu’à l’époque le ministère était de droite… Ils ont interdit la diffusion du film à l’étranger, sans donner de raison. Ce n’est que quelques années plus tard, lorsque j’ai eu mon premier succès aux États-Unis, avec « Cousin Cousine », que l’on a redonné le film au ministère de l’Intérieur en leur demandant pourquoi il avait été interdit. En fait, c’était pour couler Karmitz, car on nous a expliqué qu’il n’y avait aucune raison d’interdire ce film et que l’on pouvait le sortir à l’étranger. Mais c’était trop tard !

Même pour sa diffusion à la télévision… C’était sur Antenne 2 un soir à minuit…

Oui ! La télévision coproduisait le film et elle avait dû recevoir les ordres d’un ministre quelconque pour qu’il ne soit pas diffusé à 20h30…

Ensuite, il y a une histoire dingue, avec un président de la République qui se retrouve dans un pays où il y a des millions de chômeurs et qui se suicide parce qu’il ne peut plus rien faire…

C’était « La Sainte Pénurie ». On a essayé de le monter avec Tony Molière, mais on nous a refusé l’avance sur recettes. Karmitz a dû abandonner et c’est quelque chose que je regrette beaucoup. Mais le scénario va être édité prochainement dans un livre.

Tony Molière : On se connaît depuis longtemps avec Jean-Charles. Nous avons fait tout le lancement de « Tartarie », dans de très nombreuses salles en France, avec les comédiens. Un jour, dans la voiture, Jean-Luc Bideau nous a fait le coup de se mettre tout nu ! Dans la voiture ! C’est une amitié qui me tient à cœur. Nous avons fait ensemble une tournée dans toutes les petites villes. C’était exceptionnel à l’époque, car les professionnels n’allaient pas voir la province.

Micheline Lanctôt était venue spécialement du Canada avec nous. Tony a toujours été un exploitant merveilleux, pour bien sortir les films, pour bien les présenter. C’est plus qu’un exploitant, c’est un créateur. Je trouve formidable que tu sois toujours là, nous avons le vrai amour du cinéma !

Revenons aux anecdotes que vous racontez dans votre livre. En 1949, après la guerre, on est en pleine époque de rationnement du papier et c’est François Mitterrand qui permet le lancement de votre revue de cinéma, parce qu’il était à l’époque secrétaire d’État en charge du rationnement du papier…

Après la guerre, il y a eu de nombreuses restrictions, mais aussi des restrictions de papier. Il y avait une répartition entre les journaux établis mais, pour créer un journal, il fallait trouver le moyen d’avoir du papier. C’était très compliqué. Le gérant d’un hôtel où j’allais avait été prisonnier de guerre avec François Mitterrand et il nous a proposé d’aller le voir. Finalement, on a reçu l’autorisation d’avoir un quota de papier par numéro et c’est ce qui nous a permis de créer ce magazine de cinéma.

François Mitterrand était malin, puisque c’était un poste stratégique d’être le ministre qui distribue le papier aux journaux… Ensuite, c’est Louis Aragon qui vous encourage à passer du journalisme au cinéma…

Le journal où je travaillais a été racheté par le Parti communiste et il a décidé de le supprimer en intégrant les pages de « L’Ecran français » dans « Les Lettres Françaises », une revue dirigée par Aragon. Je travaillais depuis plusieurs années comme metteur en scène et je faisais simplement une chronique d’information. J’avais très envie de laisser tomber le journalisme. Je décide d’arrêter le journalisme et Aragon me convoque : « Je ne comprends pas pourquoi vous partez, alors que vous êtes un bon journaliste ? » Je lui explique que je veux faire des films comme metteur en scène et on parle de cinéma pendant plus d’une heure. Il me dit que j’ai bien raison et il me souhaite bonne chance…

Vous évoquez aussi votre amitié avec Yves Ciampi et Maurice Ronet…

Yves était un grand copain. Nous avons fait quelques films ensemble, dont « Les héros sont fatigués » qui a été un immense succès. Quant à Maurice Ronet, c’était un ami de toujours, on a de nombreux souvenirs avec Tony aussi… À l’époque, il voulait faire deux films comme metteur en scène et les producteurs ont refusé. Il était couché dans son lit d’hôpital et je lui ait dit : « Tu vois bien que tu n’aurais pas pu les tourner… » Il m’a répondu en m’engueulant : « Si j’étais en train de tourner, je ne serais pas malade… »

Vous avez cette remarque : « Les bons scénarios ont plus de mal que les autres à devenir des films… »

Souvent, les bons scénarios sont des scénarios d’observation, de peinture d’une époque, à travers des personnages originaux et ce n’est pas ce qui se vend le plus facilement. Pour placer un scénario, il faut une histoire solide, qui monte dramatiquement : or, ce ne sont pas toujours les meilleurs films…

Parmi ces bons scénarios, il y a « Cousin, cousine » : personne n’y croyait au départ, toutefois le film est devenu un succès planétaire…

Je n’ai jamais très bien su si le producteur y croyait ou non… Gérard Oury y croyait beaucoup et, si j’ai pu faire le film, c’est grâce – si je puis dire – à l’infarctus de Louis de Funès… Il allait tourner un film sur un dictateur, avec Louis de Funès, mais comme celui-ci est tombé malade, le film est tombé à l’eau… Les techniciens étaient déjà engagés et Gérard a refilé mon scénario à son producteur en lui disant : « Tu devrais tourner ce film à la place… » Cela s’est fait relativement facilement.

Ensuite, Gérard Oury va rencontrer Sylvester Stallone aux États-Unis, parce qu’il rêve de faire un film avec lui. Mais Stallone lui déclare : « J’accepterai de tourner avec seulement deux réalisateurs français, Claude Lelouch et Jean-Charles Tacchella ! »

Il n’en revenait pas ! Gérard est allé spécialement aux États-Unis pour le rencontrer et Sylvester Stallone lui dit : « Votre scénario n’est pas mal, mais je ne tournerai pas, il n’y a que deux metteurs en scène français avec qui j’accepterai de tourner… » Gérard a repris l’avion immédiatement… J’ai eu des propositions, mais je n’ai jamais eu envie de tourner des films purement américains.

Dans votre livre, il y a aussi quelques piques, comme sur Simone de Beauvoir qui était « obsédée par l’argent », ou Richard Bohringer avec « ses colères difficiles à gérer sur un plateau » et qui, en plus, « demande un pourcentage sur les entrées aux États-Unis…»

C’était un film où il jouait avec une comédienne qui était connue aux États-Unis et il était beaucoup plus normal qu’elle demande un pourcentage sur le film en Amérique, alors que Richard Bohringer n’était pas connu là-bas…

Vous regrettez que l’on s’attache davantage aujourd’hui aux célébrités et non aux œuvres…

Il y a de très belles œuvres dans le cinéma, des très grands films. La jeunesse actuelle devrait voir tous ces grands films qui ont fait l’histoire du cinéma… Regardez, pendant la guerre, Marcel Carné a fait « Les visiteurs du soir » et « Les enfants du paradis » : donc, malgré les difficultés de l’époque, on pouvait faire des grands films. Aujourd’hui, on ne fait plus cela…

Vous citez aussi Fernandel qui pleure chez vous en regardant Don Camillo à la télévision…

Il tournait un film dans le village de Provence où j’habitais et Don Camillo passe à la télévision. Il me propose de passer voir le film chez moi. Il était ému, il s’est mis à pleurer, car certains acteurs du film étaient morts. En plus, il était très généreux : il a fait livrer des caisses de bouteilles pour la soirée et nous en avons eu pour au moins quatre à cinq ans !

Tony Molière voudrait vous inviter un jour à La Baule, où il présenterait une rétrospective de vos films…

J’adore voyager, je ne demande que cela… Mais je dois rester à Versailles pour m’occuper de mon épouse qui est malade. Malheureusement, depuis six ou sept ans, je n’ai pas bougé.

Écrit par Rédaction

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