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Anne Gabard-Allard : « Les émotions peuvent devenir toxiques si elles perdurent. »

Pourquoi il est essentiel de savoir écouter son corps.

Anne Gabard-Allard a exercé la gynécologie pendant plus de quarante ans. Elle est titulaire de deux thèses universitaires et d’une maîtrise en histoire des sciences. Son livre s’inspire de la thèse pour laquelle elle a travaillé sur les témoignages de 300 patientes, avec l’objectif de mettre en miroir les événements de santé et les événements de vie, et ainsi montrer que la vision du médecin est souvent trop étroite et centrée sur la technique médicale, alors que la réalité est souvent plus vaste et dépendante de l’histoire personnelle de chacun.

Les bénéfices issus de la vente de cet ouvrage sont reversés à la Fondation des Femmes car, souligne Anne Gabard-Allard : « Ce sont mes patientes qui m’ont fait confiance et qui m’ont permis, par leurs témoignages, de comprendre ce que j’ai compris. J’ai été admirative de beaucoup de patientes qui vivent dans l’adversité. »

Anne Gabard-Allard dédicacera son livre jeudi 24 octobre, de 19h à 20h, à la librairie Lajarrige de La Baule, samedi 26 octobre, de 10h30 à 12h, à la librairie de Pornichet, vendredi 1er novembre au point presse du marché de La Baule, de 10h30 à 12h, et vendredi 8 novembre, de 16h30 à 18h, à la librairie du Pouliguen.

« Mon corps raconte mon histoire » d’Anne Gabard-Allard est publié aux Éditions Solar.

Kernews : Vous rappelez que ce sont les émotions qui guident notre santé. En fait, c’est un sentiment que nous avons tous déjà éprouvé de façon innée…

Anne Gabard-Allard : Il est bien possible qu’on le sache déjà au fond de nous. Je suis très admirative de ce que la médecine peut faire, mais il y a aussi des problèmes médicaux qui restent sans réponse. À un moment de ma vie professionnelle, j’étais lassée de ces incompréhensions et j’ai voulu chercher autre chose. J’ai décidé d’ouvrir mon champ de vision en faisant un Master d’histoire des sciences, tout en continuant à faire de la gynécologie, et j’ai décidé de faire une thèse de recherche en philosophie de la médecine pour mettre en miroir les éléments de santé et les éléments de vie. Je me suis entretenue avec 300 patientes pour poser des questions dont je n’avais pas l’habitude. Chaque fois, c’étaient des entretiens de deux à trois heures et cela a duré cinq ans. Dans un premier temps, je me suis attachée aux événements de vie et j’ai compris que nos événements de vie nous affectent via les émotions qu’ils induisent. Notre corps n’est pas fait pour vivre avec une culpabilité, une honte ou une colère pendant des années. Nos émotions sont très précieuses et elles ont toute une justification. Une émotion n’est jamais ridicule. Une émotion nous renseigne sur la façon dont on vit avec notre environnement. Cependant, les émotions peuvent devenir toxiques si elles perdurent.

Lorsque vous évoquez les événements de vie, s’agit-il d’épisodes que nous avons personnellement vécus et de circonstances qui se sont peut-être imprimées dans notre ADN via l’histoire de nos ancêtres ?

Complètement. Nous avons nos émotions propres et nous avons aussi celles de notre lignée qui sont imprimées dans ce que l’on appelle l’épigénétique, à savoir la façon dont l’environnement peut modifier l’expression de nos gènes. Nous avons les gènes de nos parents. On sait maintenant que seulement 3 à 5 % de ces gènes vont s’exprimer et c’est l’environnement qui a la capacité de pousser les gènes à s’exprimer, ou de les retenir. Dans cet environnement, il y a l’environnement physique, puisque nous sommes des êtres de matière, mais il y a aussi la conscience. Ce versant de notre réalité n’est pas suffisamment pris en compte et c’est ce que j’explique dans ma thèse de recherche.

Chaque fois que l’on aborde le sujet des émotions par rapport à la science ou que l’on essaye de s’interroger sur la science, alors que le questionnement est le propre de la science, on se retrouve systématiquement traité de complotiste…

La médecine est une science humaine et nous sommes soumis à des lois universelles. On a beaucoup tiré le curseur vers la science en oubliant que la médecine est une science humaine. Nous sommes des êtres singuliers et l’art de la médecine consiste à mettre ensemble ces lois universelles avec l’individu qui est singulier, avec une conscience supérieure. Cette partie de la singularité ne peut pas rentrer dans la démonstration scientifique.

Est-il irréaliste de penser que des maladies graves surviennent davantage chez des petits artisans ou des petits commerçants qui subissent des tracas au quotidien et sont souvent angoissés, par rapport à des gens qui ont une sécurité de l’emploi ?

Non, pas du tout. Je n’ai pas fait d’études sociologiques, mais nos difficultés de vie ne sont pas vécues de la même façon. Un artisan qui va avoir la boule au ventre pour payer ses fournisseurs peut prendre du recul et changer de métier. Cependant, il peut être aussi envahi par ses émotions qu’il n’arrivera plus à gérer et la maladie peut le guetter.

Revenons aux femmes. Dans votre étude, vous évoquez notamment les cystites récidivantes. Une femme qui multiplie cela peut-elle l’interpréter comme un message de son corps lui expliquant que son compagnon n’était peut-être pas le bon ?

Les cystites des femmes, c’est extrêmement banal et une femme sur deux fera une cystite au cours de sa vie. Si, dans une vie, une femme n’a jamais eu de cystite et si, à un moment donné, les cystites deviennent récidivantes, au point de gêner la vie quotidienne et sexuelle, il y a évidemment un sens. Notre corps est tellement intelligent qu’il nous dit des choses que parfois l’on ne sait pas encore. Notre corps nous envoie des messages, mais on n’a pas appris à les écouter. Au fond de nous, on a une connaissance de ce que l’on est vraiment. J’ai interrogé des femmes en leur disant que les cystites ont commencé à telle date, en mettant d’autres événements en miroir, elles m’ont dit qu’elles n’avaient pas pensé à cela et une étincelle s’est produite.

Avez-vous un autre exemple à nous faire partager ?

Les maladies auto-immunes sont très importantes. Nous avons un système immunitaire qui est fait pour nous défendre et, en cas de maladie auto-immune, le système immunitaire se retourne contre nous, donc c’est illogique. On retourne nos défenses contre nous-mêmes. Dans la vie de ces femmes, j’ai souvent trouvé une colère ou une culpabilité verrouillée depuis des années ou des décennies. Une patiente a fait une polyarthrite, une maladie qui ronge les articulations, elle m’a raconté sa vie. Quand elle était jeune femme, elle a eu une petite fille qui a échappé à sa surveillance à l’âge de deux ans et a été écrasée sous ses yeux en traversant la rue. Depuis, elle a été rongée par une culpabilité et une colère contre l’automobiliste. Pendant vingt ans de sa vie, elle a eu des émotions insupportables pour un être humain. Une polyarthrite doit se traiter avec tous les moyens de la médecine, bien entendu, mais si l’on peut apaiser les émotions avec lesquelles un être humain a beaucoup de difficultés à vivre, je pense que cela peut agir sur le processus de guérison.

Ce que vous venez de nous décrire est une forme de coup d’État, comme lorsque l’armée se retourne contre les dirigeants d’un pays. Est-ce un coup d’État biologique ?

Absolument, c’est la même chose. Le corps répond qu’il ne peut pas vivre en harmonie avec de telles émotions. On ne peut pas vivre avec des émotions difficiles au long cours.

D’ailleurs, le langage traduit très bien cela à travers des expressions usuelles comme « le cœur brisé », « tu me fends le cœur », ou « les ennuis me rongent ». Malgré tout, souvent, on n’y peut rien…

Si l’on ne peut pas changer les événements de sa vie passée, on peut changer les émotions induites. Parfois, on dit que c’est le stress et on ne sait pas comment le gérer. La chose n’est pas la même si la connaissance de nous-mêmes nous permet de décoder l’émotion. Une émotion reconnue et accueillie est déjà apaisée. Il faut étiqueter cette émotion pour savoir si notre vie est supportable en l’état, ou non. Si le corps ne peut pas supporter cela, il y a une décision à prendre. On peut peut-être réagir avant que la situation devienne ingérable, en étant davantage en éveil sur ce qui nous arrive et les symptômes que notre corps nous envoie, avant le moment de non-retour, et cette sensibilisation aux émotions peut nous aider à prolonger notre chemin.

Comment expliquer le fait que certaines personnes vivent en permanence dans le combat et supportent toutes les agressions ?

Ces personnes vivent peut-être en harmonie dans cette quête de toujours conquérir et de toujours faire plus. Nous sommes tous singuliers. J’ai récemment fait un TED sur les émotions et il a fallu six mois pour que la vidéo soit mise en ligne, parce que la direction de TED m’a dit : « Vous n’avez pas de preuves ! » Mais on n’aura jamais de preuves, puisque nous sommes tous singuliers. D’ailleurs, je ne veux pas dire que je détiens la vérité, je veux juste témoigner sur mes quarante ans de gynécologie et mes dix ans de recherche.

Peut-on résumer notre conversation par le fait que chaque fois que l’on « emmerde » quelqu’un, pour reprendre l’expression de Georges Pompidou, que ce soit à titre personnel ou étatique, que ce soit dans la vie de couple, au bureau, avec le chef de service tatillon, bref, on tue l’autre à petit feu ?

Vous avez raison. Dans une relation, on est deux. Il y a celui qui embête l’autre, mais il y a aussi vous et ce que vous avez envie d’accepter. Je pense que l’on a une zone d’habilité physique, mais nous avons aussi une zone d’habilité mentale qui est bornée par nos émotions. Si l’on met des limites à cette zone d’habilité, on est dans une réaction et on a le droit de dire que nous voulons changer de façon de vivre.

Écrit par Rédaction

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