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Père Pedro : « J’ai 14 000 enfants que j’ai arrachés à une décharge et c’est pour ces milliers d’enfants et tous les autres que je me bats. »

Entretien exclusif avec le créateur de la cité d’espérance de Madagascar, qui est venue en aide à plus de 500 000 Malgaches.

Le père Pedro est connu dans le monde entier pour son action à travers son association Akamasoa qui a permis de construire une véritable ville, la cité d’espérance, avec une aide apportée à plus de 500 000 Malgaches, et il s’occupe aujourd’hui de la scolarisation de 14 000 enfants. Chaque année, le père Pedro parcourt le monde pour faire connaître son action et récolter des financements. Il est présent dans de nombreux médias nationaux et, à l’occasion d’un séjour à Paris, il a accepté de rencontrer Yannick Urrien pour une interview exclusive pour Kernews. Cet entretien a été réalisé près des Champs-Élysées, le samedi 24 novembre, au moment même où la manifestation des Gilets jaunes débordait sur la plus belle avenue du monde : un symbole troublant que notre interlocuteur ne manque pas de souligner.

Le journaliste Pierre Lunel vient de consacrer un livre à son action, « La cité d’espérance du Père Pedro » publié aux Éditions du Rocher.

Vous pouvez remettre vos dons à l’adresse suivante : Congrégation de la Mission. Service des Missions, 95, rue de Sèvres, 75006 Paris. Inscrire au dos : pour l’œuvre du Père Pedro – Opeka. Un reçu fiscal vous sera adressé.

Pour faire bénéficier le Père Pedro de legs et donations, contacter Monsieur l’Économe provincial des Lazaristes, 95, rue de Sèvres, 75006 Paris. Tél. 01 45 48 35 72.

Kernews : La situation à Madagascar est paradoxale. C’est une très belle île, c’est un grand pays, ils avaient tout… Comment en est-on arrivé là, après le départ de la présence française ?

Père Pedro : C’est le gâchis des êtres humains, c’est le gâchis des premiers responsables élus, ivres de l’indépendance… Ils pensaient qu’un pays peut marcher tout seul et qu’il suffit d’un peu d’autorité pour que tout le monde obéisse. Les premiers responsables, après l’indépendance, étaient tellement heureux d’être à la tête de ce pays, qu’ils n’ont rien fait. La population a augmenté chaque année. Je suis arrivé 10 ans plus tard, en 1970, et j’ai vu des députés, des sénateurs et des ministres organiser des bals populaires et faire la fête. Et même un peu plus que la fête… Ces gens ne parlaient pas de développement et de l’évolution du pays pour tenter de changer cette pauvreté, qui était encore digne, ce que j’ai vu au début. Mais tout a empiré, pour devenir insupportable. Nous sommes à 58 ans de l’indépendance et le pays est plus que pauvre. La Banque mondiale dit que 92 % des citoyens de Madagascar n’ont pas 2 dollars par jour, ce qui est le seuil de pauvreté pour la Banque mondiale. Mais je peux vous dire que 40 % des habitants vivent sans rien et que ceux qui sont au pouvoir ne sont pas dérangés au-delà de leurs problèmes personnels.

Vous parlez d’une pauvreté digne, mais dans le livre qu’il vous consacre, Pierre Lunel évoque une pauvreté glauque avec l’alcool, la prostitution, les femmes battues et la violence quotidienne…

C’est terrible, mais Pierre Lunel a passé quelques semaines avec nous, alors que nous sommes là depuis 48 ans… C’est pour cela qu’aujourd’hui je lève la voix pour les plus pauvres, pour ces enfants qui ne méritent pas ce sort, qui ne méritent pas, dans une île qui est tellement riche, belle et extraordinaire, de vivre dans une situation misérable.

Pourquoi votre choix s’est-il porté sur Madagascar ?

Quand j’avais 18 ans, je pensais aller au Biafra, mais je fais partie de la Congrégation de Saint-Vincent-de-Paul qui a envoyé ses premiers missionnaires à Madagascar en 1648. Notre supérieur général avait fait un appel à tous les jeunes de la Congrégation pour partir à Madagascar. J’ai décidé de partir… Je ne me suis pas posé la question de savoir si c’était dangereux ou non, comment on pourrait vivre dans ce pays, si l’eau était potable ou s’il y avait le téléphone… Les jeunes d’aujourd’hui demanderaient s’il y a du Wifi et si c’est vivable ! De notre temps, on allait donner un coup de main, on risquait sa vie… Je suis survivant, après 48 ans passés dans un pays où il n’y avait pas un seul touriste… Aujourd’hui, les gens viennent en tant que touristes. Les jeunes Français peuvent venir à Madagascar, ils reçoivent leur visa pour trois mois en une heure à l’aéroport, alors que le jeune Malgache qui veut venir en France doit faire un parcours du combattant et se voit souvent refuser son visa.

Vous ne le connaissez pas encore totalement puisque, dans le livre, vous dites que cela fait 40 ans que vous vivez auprès d’eux et vous confiez : « Il y a toujours une part de mystère que je ne cerne pas… »

Oui, comment ces gens peuvent-ils survivre avec si peu de choses ? Partout où je passe, j’essaie d’alléger un peu, j’essaie d’alléger la richesse en France et en Europe, parce que la richesse qu’il y a dans l’hémisphère Nord est scandaleuse. Pendant que nous faisons cette interview, il y a des Gilets jaunes qui sont en train de protester sur les Champs-Élysées en disant que la vie est chère et que l’on ne peut plus arriver au bout du mois et ces gens manifestent violemment leur mécontentement. À Madagascar, les gens vivent avec 1 euro et demi par jour, mais c’est impossible, les médicaments sont plus chers qu’en France, les matériaux pour construire une maison sont plus chers qu’en France et le gasoil par rapport aux salaires est plus cher qu’en France ! Il n’y a que la salade qu’ils produisent eux-mêmes ! Tout le reste est plus cher. En France, vous avez un SMIC, c’est toujours insuffisant, mais je défends un SMIC mondial. La cause des ouvriers en France qui luttent pour plus d’égalité sociale est une cause juste et je l’appuie, mais il n’y a pas que les ouvriers en Europe, il y a aussi les ouvriers d’Afrique, de Madagascar, d’Amérique latine et d’Asie. Il ne faut pas oublier que l’Afrique et Madagascar sont des continents jeunes, il faut en tenir compte. Il ne faut pas les aider avec des miettes qui arrivent avec une lenteur scandaleuse. Quand on entreprend un projet avec l’Union européenne, le décaissement commence au bout de trois ans : mais que peut-on faire pendant trois ans ?

Il y a une lenteur administrative et une lenteur douanière. En réalité, si un jeune entrepreneur décide de créer 50 emplois à Madagascar, il va avoir des tonnes de papiers à remplir et on va lui expliquer que ce n’est pas possible, donc il va refaire ses valises…

C’est vrai aussi ! Entre les personnes et les nations, il y a toujours de la méfiance, il n’y a pas de confiance. Les personnes se volent les unes les autres…

C’est la vie…

Oui, c’est la vie. Mais en tant que blanc, quand je suis entré dans une décharge auprès des plus pauvres à Madagascar, la confiance a joué, alors qu’ils avaient au départ une certaine méfiance à mon égard en se demandant ce que je pouvais bien chercher : comment cet homme peut-il venir nous aider gratuitement, sans rien nous prendre ? Au début, ils ne me connaissaient pas. Maintenant, ils me font confiance, parce que je suis avec eux depuis des dizaines d’années. Mais la méfiance entre les personnes et la méfiance entre les pays est une réalité. Les États-Unis et la Chine ne seront jamais amis, tout comme les États-Unis et la Russie, les Russes et les Chinois non plus… Cette méfiance, c’est le mal que porte l’être humain en lui-même : avant qu’il ne profite de moi, je dois d’abord essayer de profiter de lui… Aujourd’hui, je vis gratuitement au milieu d’un peuple pour le servir. À Madagascar ou en Afrique, les dirigeants se servent de leurs propres peuples et de leurs propres enfants pour s’enrichir. C’est inacceptable et scandaleux.

Quand vous recevez des dons, vous ne vous contentez pas de distribuer des fonds, vous aidez surtout les Malgaches à constituer des projets…

Nous avons toujours dit à nos frères et sœurs qui viennent frapper à notre porte que nous posons trois conditions pour aider quelqu’un : le travail, l’école obligatoire et la discipline. Si la personne qui vient ne veut pas travailler, je ne peux pas travailler à sa place. Si la personne ne veut pas scolariser ses enfants, alors ils seront encore plus pauvres qu’elle. Et si l’on n’accepte pas des lois communautaires, on ne peut pas vivre ensemble. L’anarchie n’est jamais bonne, dans aucune communauté. On doit se respecter, car ma liberté finit là où commence la vôtre. Si l’on accepte le travail, l’école et la vie communautaire, on peut vaincre la pauvreté. Nous l’avons démontré depuis 29 ans. Les gens qui travaillent pour un euro et demi par jour, ce n’est pas un salaire, c’est la survie. Ici, vous cassez tout pour avoir plus de pouvoir d’achat, mais les plus pauvres, en Afrique et à Madagascar, n’ont aucun pouvoir d’achat, c’est la survie !

Vous évoquez la mémoire d’une femme qui vous a aidé, Mademoiselle Honorine : c’est horrible, elle a été assassinée par ses enfants adoptifs. Comment en arrive-t-on là ?

C’est le mal, c’est une société sans la force spirituelle, sans la force de la vérité, sans les valeurs qui font qu’un être humain soit humain. On peut être athée, mais il y a quelque chose qui nous unit, c’est le respect. Il faut partager les richesses que nous avons et, dans une société, quand on oublie l’éducation et les valeurs, on vit dans un monde dangereux. Ce crime a été commis par ces deux jeunes, alors qu’elle leur disait qu’elle les aimait et qu’ils ne devaient pas toucher à la drogue. Mais, pour eux, la drogue était plus importante que la vie de leur tante, qui était leur maman adoptive… C’est un mal que l’on ne peut pas expliquer, c’est un mal qui existe dans le cœur de l’être humain. Pourquoi tant de crimes envers les enfants, pourquoi tant de viols envers les femmes, pourquoi cette absence de respect à l’égard des personnes âgées ? Les enfants, les femmes et les personnes âgées sont les trois fragilités de notre société aujourd’hui. Si vous êtes fort et si vous pouvez produire, vous êtes important pour la société aujourd’hui. Mais si vous n’êtes plus fort, vous êtes écarté de la société.

Dans votre livre, il y a une leçon au sujet de la prière : plutôt que d’aller prier plusieurs fois par jour, il vaut mieux agir concrètement. Or, beaucoup de gens vont à la messe pour se donner bonne conscience…

Je ne peux juger personne. Certains ont besoin de la prière, chacun a sa façon de prier, il y a autant de façons de prier que d’êtres sur Terre. Personne ne peut imposer cette relation à l’infini, au Créateur, à Dieu, d’une façon unique. Je dis que l’action est une prière. Quand je suis seul, je repense à ma vie et à mes actions et, si je n’ai pas bien fait, j’essaie de me corriger. Mais je n’aime pas que l’on dise que Jésus était tout le temps en prière !

Vous rendez aussi hommage aux femmes en disant que ce sont elles qui sauveront Madagascar et l’Afrique…

Ce sont les femmes qui portent la vie et qui donnent la vie. Elles donnent naissance à ces enfants, alors que les hommes aiment s’évader, ils aiment le divertissement… J’ai eu la chance d’avoir eu un père et une mère qui m’ont appris à travailler à l’âge de 9 ans. J’étais le premier garçon de la famille sur huit enfants et mon père me demandait d’aller aider mes frères et sœurs. J’ai dû travailler les jours de vacances et j’étais content de le faire pour aider mes parents et mes frères et sœurs. Le travail a fait ce que je suis. Le travail est aussi un art, on s’exprime. Nous avons du talent, des potentialités et des richesses intérieures qu’il faut exprimer. Mais pas vite, vite, vite, parce que l’on doit vendre tout de suite ce que l’on fait… Nous avons dévié, notre économie est devenue une économie de profit, et seulement de profit, non une économie solidaire. L’argent ne mène nulle part, l’argent mène au mur, à la guerre, aux conflits et à la corruption. L’argent est seulement un moyen. Plus j’ai partagé, plus j’ai reçu. C’est ma philosophie et c’est vrai. J’ai toujours voulu rester sincère et il y a une chose que je ne supporte pas : c’est le mensonge. Partout où je passe, mes frères et sœurs qui m’écoutent perçoivent cela. Il y a une énergie qui va au-delà de mes paroles, au-delà de mon vocabulaire même et qui atteint le cœur de l’autre personne. Je crois en la fraternité.

Vous étiez réticent avant d’accepter une longue interview. Mais on a envie de mieux vous connaître et cela peut être utile pour inciter les gens à vous aider à acheter des cannes à pêche pour apprendre à pêcher à tous ces pauvres gens…

Oui, parce que je dis à mes frères que je les aime trop pour les assister : si je dois les assister, alors autant partir tout de suite ! J’ai travaillé moi-même, en tant que prêtre, comme maçon, j’ai travaillé dans les rizières, j’ai travaillé dans la boue… J’ai été très malade, j’avais plus de sept genres différents de parasites dans mon estomac et j’ai eu la chance de guérir, alors que d’autres frères sont déjà morts. Pourtant, j’ai 70 ans, je ne me sens pas vieux, je fais encore un peu de sport… Beaucoup de mes frères sont morts et je témoigne aujourd’hui. Je témoigne du sort de millions de nos frères en Afrique et à Madagascar qui ont la joie de vivre et qui n’ont aucun avenir. Ces gens sont dans un tunnel sans issue. C’est pour eux et c’est pour ces enfants que je parcours le monde. Chaque fois que je suis sorti de Madagascar, je ne suis jamais revenu les mains vides. Je suis comme une fourmi qui monte vers le Nord, qui prend un peu de superflu là-haut pour l’amener vers le bas et je monte et je descends… Voilà mon travail ! Puissions-nous un jour comprendre que notre vie a un sens, travailler pour les enfants que nous avons mis au monde… Je suis prêtre, je ne suis pas marié, j’ai accepté volontairement de rester célibataire, mais aujourd’hui j’ai 14 000 enfants que j’ai arrachés à une décharge et c’est pour ces milliers d’enfants et tous les autres que je me bats. Je parle, je témoigne et je parcours la Terre.

Écrit par Rédaction

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