Ce que les hommes pensent des femmes. L’écrivain présente son dernier roman « Cinq femmes »
Gilles Cosson est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages, souvent à dimension historique, dans lesquels il se penche sur la cruauté et le matérialisme du monde d’aujourd’hui. Dans son dernier roman, il raconte l’histoire d’un brillant architecte, foudroyé par un AVC, qui s’interroge au seuil de la mort. Cinq femmes défilent dans sa mémoire, ombres tantôt pleines de fougue et d’ardeur, tantôt amères et anéanties. Un livre qui amène une réflexion sur une vie pleine d’illusions et sur les rapports que peuvent avoir les hommes avec les femmes…
Dans sa première vie, Gilles Cosson a été membre du directoire de Paribas en charge des participations industrielles et président de Poliet (Point P, Lapeyre…). Puis il a tout abandonné pour partir seul dans les déserts et les montagnes du globe. Il a ainsi traversé à pied l’Himalaya, l’Alaska, le Hoggar, les Andes, l’Islande et la Turquie.
« Cinq femmes » de Gilles Cosson est publié aux Éditions Pierre Guillaume de Roux.
Kernews : Vous êtes polytechnicien, vous avez fait le prestigieux MIT (Massachusetts Institute of Technology), vous avez été en charge des participations de la banque Paribas, puis président du groupe Poliet, la maison-mère de Point P ou de Lapeyre. Or, un jour, vous avez décidé de faire le tour du monde à pied, puis d’écrire des essais philosophiques qui ont été publiés chez des grands éditeurs, comme Flammarion ou Plon… Comment passe-t-on ainsi de la présidence de Point P et de Lapeyre à la philosophie ?
Gilles Cosson : Une célèbre journaliste m’a demandé un jour pourquoi j’ai passé autant de temps dans l’univers de l’entreprise, alors que j’aurais pu écrire et ambitionner le prix Goncourt… La réponse est simple : j’ai une famille et, à moins d’aller faire la manche dans le métro, en attendant un succès qui ne vient parfois jamais, il valait mieux gagner ma vie ! C’est ce que j’ai fait. Dans ce nouveau livre, quand on sait voir à travers le discours, on peut aller au plus profond que les apparences. Ce livre est une sorte de réflexion philosophique sur la vie.
Le thème pourrait sembler dépassé, mais on constate que la jeunesse recherche aujourd’hui une vie de couple plus stable en s’éloignant de la frivolité des années 70, 80 et 90. Les études indiquent même que les jeunes ont une vie sexuelle beaucoup moins intense que leurs prédécesseurs…
Ce sont des problèmes sociaux éternels qui se posent avec une particulière acuité dans notre société de l’immédiateté. Un homme, qui est un brillant architecte, est frappé par un AVC foudroyant et il se retrouve brusquement projeté dans le temps long, le temps de la réflexion, qui n’existe presque plus lorsque l’on est soumis à l’Internet et aux opinions continues. C’est vrai, beaucoup de jeunes ressentent ce vide existentiel, ils n’ont plus la possibilité d’avoir un temps long et c’est quelque chose qu’ils regrettent.
Cet architecte avait 19 ans en 1966, donc 21 ans en 1968. On pouvait penser qu’il aurait eu une vie sexuelle débridée, mais ce n’est pas le cas puisque, quand il pense aux femmes de sa vie, il y en a finalement assez peu…
On peut en discuter car, comme on dit, il ne s’embête pas… Mais ce sont des aventures rapides et sans lendemain. Simplement, j’évoque les cinq femmes qui ont compté dans sa vie, mais il y a quand même en fond de tableau un certain nombre d’aventures rapides. Un homme célèbre qui plaît et qui n’est pas sans argent, c’est un homme qui trouve beaucoup de femmes sur son chemin. Mais c’est vrai, dans le fond de son cœur, il regrette l’amour vrai, l’amour donné et l’amour reçu.
Il croit au grand amour, mais il se marie avec une grande avocate, comme s’il s’agissait d’un plan de carrière…
Ce n’est pas entièrement faux. Dans le milieu dans lequel il vit, il doit prouver qu’il est vraiment remarquable. On a tendance à chercher une femme qui n’est pas simplement décorative, mais qui assure un appui intellectuel supplémentaire.
Un jour, il tombe amoureux de sa belle-sœur…
Il est jeune, moins d’une quarantaine d’années, il est dans un chemin où se présentent beaucoup de femmes et il y en a une qui a le malheur de passer très près de lui, mais qui lui est aussi très proche par les relations familiales. C’est une charmante belle-sœur de 17 ans qui débarque chez lui pour garder les enfants. Or, cette belle-sœur est en même temps une très jolie femme. La tentation est vraiment très forte. Le pire, c’est qu’elle n’est pas opposée à l’idée de voir ce séduisant beau-frère lui présenter ses hommages sous diverses formes.
Une phrase prend tout son sens à ce moment-là : « Seule la possibilité de tout perdre donne à l’existence son véritable sens, celui d’une victoire toujours menacée ». C’est une bonne chose de parfois se mettre en danger ?
C’est quelque chose que j’ai bien connu dans ma carrière, qui était intéressante, stressante et tournée vers le monde des affaires. À un moment, il fallait absolument que je me retrouve de temps en temps devant les problèmes simples de l’existence, comme le froid, la faim, la fatigue ou même la mort… Quand je suis allé dans l’Himalaya, à quatre reprises, j’ai vécu pendant 15 jours à plus de 4700 mètres. J’ai passé plusieurs cols à plus de 5000 mètres, dans des tourmentes de neige, c’est extraordinaire. Une satisfaction d’un autre ordre prend possession de vous et vous vous sentez vraiment vivre, parce qu’il y a des risques permanents. J’ai connu des jeunes Américains de 35 ans, je leur ai donné un coup de main pour monter leurs tentes, alors que j’avais une cinquantaine d’années à l’époque. J’ai projeté sur mon architecte ce que je ressentais moi-même. C’est quelque chose de cardinal pour se remettre en question et se sentir pleinement vivre, il faut prendre des risques et c’est assez masculin…
C’est aussi quelque chose que l’on observe dans l’entreprise avec, parfois, une PME au bord de la faillite, et, lorsque l’on croit que l’on a tout perdu, une bonne impulsion arrive… C’est le rockeur ivre mort et drogué, sur le point de mourir, qui compose un tube à cinq heures du matin et qui vend ensuite des millions d’albums !
C’est tout à fait vrai. C’est le fameux coup de pied que l’on donne quand on est au fond pour remonter et c’est quelque chose que l’on observe dans tous les métiers. Il y a un moment où l’on approche le fond, pour mieux rebondir et se sentir vivant après.
Vous ajoutez que le grand piège reste toujours l’autosatisfaction…
C’est vrai. Je n’oublie pas que la plupart de nos contemporains ont des problèmes de fin de mois, alors que mon architecte fait partie de l’élite favorisée. Mais cela ne suffit pas à son bonheur et ce n’est pas parce qu’il a une jolie femme et qu’il réussit dans ses affaires, qu’il est pleinement heureux. Il a besoin d’autre chose.
Alors, il se produit ce que l’on attendait avec sa belle-sœur : il divorce et, dans sa déprime, il ressent les jalons de la déchéance… Il ne regrette pas ce qu’il a fait, mais il sait aussi que c’est une immense bêtise…
Vous décrivez bien ce ressort du livre qui est le balancement entre la beauté et la grâce, parce que sa belle-sœur est très jolie, c’est une multiple splendeur… Mais, en même temps, il se rend bien compte qu’il se dirige vers des horizons très dangereux. Quand il se retrouve au fond de son lit, dans la douleur, il se prend conscience qu’il a eu à la fois un très bon moment, mais qu’il a aussi cassé quelque chose.
Au moment du divorce, vous décrivez les félicitations de l’entourage… C’est toujours comme cela ?
A notre époque, le divorce est quelque chose de tout à fait banal et, comme il a 40 ans, il est célèbre et il a beaucoup d’argent, tout le monde trouve cela normal… C’est une façon de démarrer une deuxième vie…
Votre livre est très pudique, alors que l’on sait bien que lorsque l’on arrive à un certain degré de pouvoir, la libido augmente très rapidement…
C’est vrai, j’ai fréquenté beaucoup de gens de pouvoir dans ma carrière et le pouvoir surexcite la libido… C’est un phénomène qui remonte très loin, puisque Jules César avait beaucoup de maîtresses. Le fait d’avoir du pouvoir sur beaucoup d’hommes et de femmes donne probablement une envie de prouver que l’on est également très performant dans le domaine sexuel… Aujourd’hui, dans la politique, le cinéma ou la littérature, les divorces sont légion…
On sait aussi que la sexualité est plus intense avec un partenaire qui a une vie intense qu’avec celui qui travaille 35 heures…
Il y a cette célèbre formule : « Si vous avez quelque chose à demander, adressez-vous à un homme très occupé, les autres n’ont pas le temps… » Dans le domaine sexuel, c’est un peu pareil. Je crois que les femmes sentent très bien un appel qui provient d’un homme complet, c’est-à-dire un homme pas trop moche et qui a du pouvoir. On dit souvent aussi cela des femmes.
Dans le parcours des hommes, il y a souvent une femme que l’on a finalement préféré avoir comme amie…
C’est ce que je décris aussi : une intellectuelle qui a une vie spirituelle importante et qui lui apporte quelque chose de plus. Face à ce monde, il s’arrête et il se rend compte que s’il franchit la barrière du sexe, il va démolir ce qui fait le côté privilégié de leur relation. Dans l’histoire, il y a toujours eu ces conseillères qui représentaient pour un homme plus que le contact physique, mais une capacité d’écoute, de conseil et de jugement.
Vous évoquez aussi cet amour d’enfance que l’on tente de reconquérir à un certain moment… Notre héros a perdu de vue cette femme pendant des années, or, il apprend qu’elle est conseillère municipale dans une ville de province. Il dîne avec elle à Paris un soir et il lui propose de tout quitter du jour au lendemain…
Je pense que cela se produit plus souvent qu’on ne l’imagine. Récemment, j’étais avec une psychanalyste dans une émission de radio et elle expliquait que pour beaucoup d’hommes, le premier amour ne s’effaçait jamais. Il était rejeté dans les ténèbres par la vie qui passe, mais il ne s’effaçait jamais. Cet architecte porte ce regret et, à 40 ans, il a l’espoir de réussir ce qu’il n’avait pas réussi quand il en avait 18. Mon homme se rend compte qu’il a peut-être laissé passer quelque chose d’unique. Il retrouve cette femme et il lui dit : « Casse tout, viens avec moi et on repart à zéro ». Évidemment, cela ne peut pas marcher…
Une femme n’aurait pas été aussi loin…
C’est un hommage que je rends aux femmes : elles comprennent mieux la vie que nous ! D’abord, parce qu’elles donnent la vie, elles voient l’enfant devenir un homme et elles ont une conscience bien plus aiguë de ce qui est possible et de ce qui ne l’est pas, des choses essentielles de la vie, ou des choses qui sont du domaine du mythe ou de l’instant qui passe. Très souvent, elles représentent pour un homme un rappel aux choses capitales. Alors qu’il est toujours prêt à aller se promener à droite ou à gauche, elles sont tout à fait capables d’avoir un amour très profond mais, en même temps, elles sentent mieux ce qui est essentiel. On ne casse pas brutalement quelque chose le temps d’un dîner, cela ne tient pas la route. Mais c’est une prise de risque assez masculine…
La leçon de ce livre, est-ce un message sur la fidélité et la dignité que l’on doit avoir tout au long de sa vie ?
Oui. L’amour que l’on donne et que l’on reçoit, c’est ce qui sauve une personnalité : à partir du moment où l’on se regarde dans la glace, si l’on a la chance de pouvoir se dire que l’on a donné à un certain moment et que l’on a reçu, c’est un grand bonheur et c’est certainement quelque chose que l’on peut emmener comme une satisfaction profonde quand on disparaît. Cela reste vrai à toutes les époques. Ce que je dis est banal mais, à la fin du livre, il y a cette poésie qui permet d’illuminer cette façon de recevoir et de donner par une sorte de réflexion plus large où l’on se fond dans un monde où l’amour reçu et donné est l’alpha et l’oméga.
Il paraît que les gens généreux vivent plus longtemps que ceux qui ne le sont pas…
Le fait de donner peut aboutir à une grande satisfaction. Une femme qui vous donne beaucoup, sans trop vous demander, c’est très émouvant… Mais c’est vrai, donner contribue à la longévité…
Notre conversation revient sur des thèmes connus de tous, or, paradoxalement on reproduit les mêmes erreurs de génération en génération…
Parce que, chez l’être masculin, il y a souvent un instinct de domination qui peut l’amener à prendre des risques, qui sont de beaux risques – l’alpiniste de l’extrême va dominer la montagne et le navigateur de l’extrême va dominer la mer – mais ce même instinct de domination peut amener à traiter avec dureté des femmes, ou des subordonnés. Et l’on ne peut pas approuver cela. À ces instincts premiers, on peut ajouter l’instinct sexuel, qui est très souvent l’instinct du prédateur, alors que lorsque les femmes donnent d’elles-mêmes, elles le font souvent très profondément et, lorsqu’elles se consacrent à une tâche, elles donnent vraiment le meilleur d’elles-mêmes. C’est un hommage qu’on peut leur rendre.