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Sauvagerie diplomatique. L’incroyable affaire d’un journaliste assassiné et dépecé dans un consulat !

Pierre Jovanovic : « On arrive à tout savoir, parce que les espions turcs avaient criblé de micros le consulat d’Arabie saoudite. »

Le Jardin des Livres publie la version française de l’enquête réalisée par trois journalistes turcs du Daily Sabah sur l’assassinat de Jamal Khashoggi, éditorialiste du Washington Post, perpétré dans l’enceinte même du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul.

Ce que les Saoudiens ne savaient pas, c’est que les services spéciaux turcs avaient criblé les murs du consulat de micros, grâce auxquels le crime et surtout le rôle actif de Mohammed ben Salmane, prince dirigeant l’Arabie saoudite, ont pu être prouvés. On découvre ainsi ce qui s’est passé pendant les 7 dernières minutes de la vie de Jamal Khashoggi, entre le moment où il est entré dans le consulat et sa mort. Pierre Jovanovic, directeur littéraire des Éditions Le Jardin des Livres, nous présente cet ouvrage.

« Sauvagerie diplomatique » de Ferhat Ünlû, Abdourrahman Simsek et Nazif Karaman est publié aux Éditions Le Jardin des Livres.

Kernews : Cette affaire Khashoggi est digne d’un scénario de James Bond, mais il est probable qu’une grande majorité de Français n’en aient jamais entendu parler…

Pierre Jovanovic : C’est fort possible. On en a parlé à un moment donné, mais les chaînes d’information se sont bien gardées de s’étaler sur ce sujet, parce qu’elles ont reçu des ordres. Pour une raison très simple : la France vend beaucoup d’armes à l’Arabie saoudite. L’assassinat d’un journaliste du Washington Post dans le consulat d’Arabie saoudite à Istanbul est un véritable scandale, mais les médias n’en ont pas beaucoup parlé.

Jamal Khashoggi est journaliste. Il a été directeur d’une chaîne de télévision, il a travaillé dans un journal saoudien et il était même proche du régime saoudien…

Oui. En plus, c’est le neveu d’Adnan Kashoggi, ancien agent de la CIA, marchand d’armes bien connu dans les années 70. Donc, c’est une grande famille. On peut également dire que Jamal Khashoggi est l’un des rares journalistes à avoir interviewé Ben Laden. Le nouveau prince Mohammed ben Salmane a installé une véritable dictature, encore pire que la précédente, et Jamal Khashoggi avait pris ses distances. L’Arabie saoudite a un fou furieux à sa tête, qui ne supporte pas que l’on écrive des choses qui seraient politiquement incorrectes selon lui. Il ne supporte pas la liberté de la presse et il a décidé d’avoir la peau de ce journaliste qui, sentant le vent tourner, s’est installé aux États-Unis où il a été embauché par le Washington Post.

Jamal Khashoggi est entré en dissidence et, quand on est en dissidence, on est forcément suivi par les services secrets saoudiens…

Exactement. Quand on a parlé de la disparition de Jamal Kashoggi, le 2 octobre 2018, le consul d’Arabie saoudite à Istanbul a tout nié en disant qu’il était sorti normalement et que les caméras de surveillance l’avaient filmé en train de sortir. Il y a un élément que ses assassins n’avaient pas prévu : sa fiancée l’attendait dehors avec l’un de ses téléphones et c’est elle qui a lancé l’alerte. On l’a fait venir dans un traquenard et on entend même les services spéciaux saoudiens dire : « Est-ce que l’animal sacrificiel est arrivé ? » Ce qui fait la force de ce livre, c’est que l’on est carrément dans un SAS ! On arrive à tout savoir, parce que les espions turcs avaient criblé de micros le consulat d’Arabie saoudite. Il y en avait partout dans les murs. La chose la plus dingue, c’est qu’une unité spéciale des services saoudiens, donc des techniciens, était venue quelques jours auparavant pour nettoyer les murs, donc pour vérifier qu’il n’y avait pas de micros posés par la CIA ou les Turcs. Pour comprendre la nullité de ces espions saoudiens, sachez qu’ils n’ont rien trouvé, alors qu’ils ont des budgets illimités ! Cela montre bien que les micros des Turcs étaient très bien placés et indétectables. C’est la raison pour laquelle on a pu avoir toutes ces preuves.

Ils ont tué Kashoggi, ils lui ont retiré ses vêtements – les vêtements étaient encore chauds – et ils les ont donnés à la doublure, qui est sortie tranquillement.

Le consul d’Arabie saoudite dit que Kashoggi est sorti tranquillement, tout simplement parce que les Saoudiens avaient même prévu une doublure pour quitter les lieux en se faisant passer pour lui…

Ils ont pris quelqu’un qui avait la même stature que Kashoggi. Ils ont tué Kashoggi, ils lui ont retiré ses vêtements – les vêtements étaient encore chauds – et ils les ont donnés à la doublure, qui est sortie tranquillement. La doublure a pu tout mettre, sauf les chaussures, et lorsque les services turcs ont travaillé sur les images, ils se sont rendu compte qu’il y avait de nombreux points de différence. Cette doublure était un ancien général de l’armée saoudienne.

Donc, l’opposant Kashoggi va au consulat d’Arabie saoudite en Turquie pour une démarche assez banale : il avait besoin d’un papier attestant qu’il était célibataire… Il prend rendez-vous et les Saoudiens lui tendent un piège…

Oui, parce qu’il voulait se marier avec une jeune femme turque. Ce piège se referme sur lui. En arrivant, ils lui disent qu’ils veulent le ramener en Arabie saoudite. Mais tout était prévu à l’avance, puisque les Saoudiens avaient même envoyé un spécialiste de la médecine légale qui a l’habitude de découper des corps avec des scies. Ce médecin était venu avec une scie, en prévision du découpage du corps. Jamal Kashoggi va être découpé en morceaux dans l’enceinte même du consulat par une équipe qui est venue en jet privé. Ce qui est d’autant plus incroyable, c’est que les Saoudiens ont nié pendant longtemps, en expliquant qu’ils n’étaient au courant de rien.

Au moment de l’enquête, les enquêteurs turcs ont utilisé du Luminol et de la lumière infrarouge pour trouver des échantillons d’ADN de Kashoggi sur les lieux du crime : donc ils se doutaient de quelque chose. Or, ils n’ont rien trouvé…

La convention de Vienne sur les relations diplomatiques précise que les locaux consulaires sont intouchables, mais, dans certains cas, la police peut rentrer, en cas d’incendie par exemple. Quand les Saoudiens ont vu la polémique dans le monde entier, ils ont envoyé une autre équipe de police scientifique pour effacer toutes les preuves, de manière à ce que la police turque ne puisse rien trouver. D’ailleurs, on voit bien, dans les images tirées de la vidéosurveillance, les espions saoudiens sortir du consulat avec de très grosses valises prévues à cet effet. On frise la folie, parce qu’ils sont sortis du consulat pour aller dans la résidence privée du consul. Le consul, dans sa maison privée, avait un immense four tandoori et la police turque en est arrivée à la conclusion que les morceaux du cadavre de Kashoggi ont été brûlés dans ce four…

Donald Trump a décidé de le sauver en le faisant chanter, en lui faisant signer des promesses d’achat de plusieurs dizaines de milliards de dollars d’armes et d’avions.

Dans cette affaire, les services secrets turcs ont reconnu avoir piégé le consulat d’Arabie saoudite et ils ont mis ces enregistrements à la disposition des enquêteurs du monde entier en organisant des séances d’écoute…

L’affaire a fait un scandale aux États-Unis et, lorsque Donal Trump a appris cela, il a eu du mal à le croire. C’est Hakan Fidan, le patron des services turcs, qui a invité Gina Haspel, la patronne de la CIA, à venir écouter les enregistrements à Ankara. Elle était atterrée en écoutant les enregistrements et elle a confirmé à Donald Trump que ben Salmane avait découpé Kashoggi en tranches. Donald Trump a décidé de le sauver en le faisant chanter, en lui faisant signer des promesses d’achat de plusieurs dizaines de milliards de dollars d’armes et d’avions. Donald Trump a écrit un livre sur l’art de conclure des marchés. On peut dire que dans ce cas, il lui a tordu le bras : d’ailleurs, en évoquant ces gros contrats, il a dit qu’il avait sauvé les fesses de MBS (Mohamed ben Salmane).

Cela peut-il aussi expliquer la position de l’Arabie saoudite, qui a suivi Donald Trump sur la question de Jérusalem comme capitale d’Israël ?

On peut faire un parallèle. Il ne faut pas oublier que les services spéciaux israéliens travaillent depuis très longtemps avec les Saoudiens. Le monde musulman ne sait absolument pas qu’il y a une entente de longue date entre ces deux pays.

Les Turcs savaient tout dès le départ. Mais au début, comme dans une enquête de police, ils se sont contentés de dire aux Saoudiens qu’ils avaient des preuves solides, sans préciser lesquelles…

Les Saoudiens ne supportent pas les Iraniens et les Saoudiens ne supportent pas les Turcs, puisque les Turcs aident l’Iran qui leur fournit du pétrole. Il ne faut pas oublier que les Américains interdisent au monde entier de faire du business avec les Iraniens. Erdogan a joué très finement contre les Saoudiens avec ce dossier.

La retranscription des faits est incroyable. Ils endorment Kashoggi avec une piqûre dans le cou. Quelques secondes plus tard, on entend des bruits bizarres de découpage, de sacs plastiques qui sont manipulés… Un agent dit : « Laisse-le découper… » puis : « C’est fini, enlève-le, c’est un chien, emballe, emballe… ». Un autre dit : « Si tu n’aimes pas le bruit, mets tes écouteurs, écoute de la musique, comme moi quand je découpe des cadavres, parfois j’ai une tasse de café et un cigare à portée de main ».

C’est effrayant ! On comprend très bien ce qui s’est passé. Lorsque l’affaire est devenue publique, quand il a été clairement établi que MBS avait donné l’ordre de tuer Kashoggi, il a fait un très gros chèque au fils de Kashoggi et la remise a été filmée, avec une poignée de main devant la télévision saoudienne. Cela montre bien l’ignominie de ben Salmane : le fils a été obligé de serrer la main du meurtrier de son père !

Écrit par Rédaction

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