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Hubert Krivine : « Il n’y a aucun argument qui soit une condition nécessaire et suffisante pour certifier une information. »

Le physicien et chercheur analyse le phénomène des fake news

Hubert Krivine analyse le phénomène des fake news en rappelant le besoin permanent de croyance de tout temps, notamment à travers les religions, et ses conséquences toujours plus prégnantes et négatives à l’heure des réseaux sociaux.

Hubert Krivine est physicien. Il a été enseignant à l’université Pierre et Marie Curie, et chercheur au Laboratoire de physique théorique et modèles statistiques de l’université de Paris-Sud (LPTMS). Il est titulaire du prix de l’Union rationaliste 2011 et du prix d’histoire des sciences de l’Académie des sciences 2012. Il est l’auteur de nombreux ouvrages. Rappelons qu’il est par ailleurs le frère jumeau d’Alain Krivine, dont il a partagé l’action politique à l’extrême gauche. Un militantisme auquel il fait référence dans son livre.

« On nous aurait menti ? De la rumeur aux fake news. » d’Hubert Krivine est publié aux Éditions De Boëck Supérieur.


Kernews : Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à ce phénomène des fake news ?

Hubert Krivine : Ce n’est pas très original, on parle partout des fake news. J’ai voulu partager un point de vue de physicien sur ce sujet, qui est biaisé évidemment, mais cela peut sans doute apporter quelque chose au débat.

Il y a des fausses informations que l’on donne volontairement pour tromper d’autres personnes, mais beaucoup de gens font aussi cela en toute sincérité…

On ne peut pas caractériser les fake news seulement par la volonté des gens qui les émettent. Je donne une définition qui est très générale : c’est la propagation sur une échelle de masse d’informations fausses. C’est une définition sans doute trop générale, parce qu’elle inclut aussi la croyance dans des mythes, y compris des mythes religieux, comme Adam et Ève, ou le monde créé il y a 4 000 ans. Ce sont des informations fausses, produites sur une échelle de masse et il y a des milliards d’individus qui croient à ces choses-là. En France, nous sommes dans une bulle, une minorité des gens croient en cela, mais ce n’est pas vrai au niveau mondial. Cela peut être sans importance mais, dans certains cas, cela peut être très important. Si vous croyez que le monde a été créé par Adam et Ève, sauf pour l’enseignement, ce n’est pas dramatique. Mais si vous interdisez aux femmes l’avortement ou la contraception, cela peut être dramatique pour des millions de femmes. Autre fake news : si vous expliquez que la Palestine appartient aux juifs, parce que Dieu en a décidé ainsi, cela a des conséquences absolument dramatiques.

L’intérêt que nous éprouvons pour une information, vraie ou fausse, est-il lié à nos opinions politiques ou à notre environnement culturel ?

Il y a des choses vraies ou fausses indépendamment de son orientation politique. Je crois naïvement à cela. Je ne crois pas que l’humanité descende d’Ève et Adam. C’est tout simplement faux, indépendamment de mes opinions politiques.

Donc, face à un prêtre, un rabbin ou un imam, vous serez en désaccord…

Ce n’est pas si simple que ça. Ils devront me dire qu’ils ont la foi et la foi n’est pas quelque chose de rationnel. On ne peut pas justifier rationnellement la Bible qui dit que la Terre est fixe et que le soleil tourne autour. Prenons un autre exemple plus simple : la transsubstantiation. C’est le fait que le vin de messe se change en sang du Christ et que l’hostie se change en chair du Christ. Le pape a bien précisé qu’il ne s’agit pas d’un symbole, mais d’une véritable transformation. Il est un peu ennuyé parce que maintenant, avec les atomes, on sait que ce n’est absolument pas possible. Alors, le pape répond que c’est un mystère, cela fait partie des choses que les hommes ne peuvent pas comprendre. Comment peut-on discuter avec cela ? Si la personne tient à cette croyance, elle peut y croire, mais ce n’est absolument pas rationnel. On peut dire qu’une série d’affirmations de la Bible sont simplement des images destinées à faire comprendre. Je n’ai rien à dire là-dessus, c’est tout à fait raisonnable. De la même manière, vous avez les fables de La Fontaine qui peuvent vous enseigner à vous méfier des flatteurs, mais on sait bien que le renard n’est pas un vrai renard et que le corbeau n’est pas un vrai corbeau. Ce ne sont que des images.

On peut alléguer aussi que Nostradamus nous parlait par images et chacun va interpréter ces images à sa façon, en disant que Nostradamus avait raison…

Pourquoi pas… Élisabeth Teyssier faisait aussi des prédictions de ce genre. François Mitterrand croyait en cela et ce n’est pas un bon point pour lui. C’est ce qu’il appelait la force de l’esprit. Mais le malheureux est mort d’un cancer mal soigné…

Vous revenez sur l’affaire Lyssenko, ce scientifique russe qui a remis en cause toutes les théories de l’hérédité, où le faux est devenu le discours officiel de l’État soviétique…

Il fallait dire que c’est vrai. Il y avait une énorme famine qui avait eu lieu en Union soviétique, il fallait absolument trouver un moyen de s’en sortir et l’idée était que Lyssenko apportait une réponse. C’est une affaire énorme. Plus près de nous, il y a le malheureux professeur Raoult. Contrairement à Lyssenko, il n’a pas eu des millions de morts sur la conscience. Ce n’est qu’une affaire grotesque, mais il a quand même eu un impact fort. On a assisté à la naissance embryonnaire d’une nouvelle religion, avec ses prédicateurs et ses adorateurs. L’ambiance qui régnait à l’IHU de Marseille était apparemment épouvantable. Encore une fois, je ne veux pas comparer cela à l’affaire Lyssenko…

Vous évoquez deux thèmes : le climat et la Covid…

J’ai voulu montrer comment on peut passer de façon continue d’une découverte fausse à une fausse information. La science passe son temps à se tromper et à se corriger, donc la science regorge de découvertes fausses, heureusement, mais quand cela devient une fake news, c’est très embêtant. J’évoque l’affaire de la mémoire de l’eau. C’était une fausse découverte, mais c’est là-dessus que les laboratoires Boiron ont pensé fonder leur légitimité. L’homéopathie, ce n’est quand même pas une petite affaire…

Vous avez été chercheur et enseignant en physique : votre rôle n’est-il pas de vous interroger et d’écouter des opinions contradictoires, y compris sur le climat ?

Il est difficile de se faire une opinion dans un domaine que l’on ne connaît pas. Le climat est un sujet extrêmement compliqué, avec différents éléments. Donc, j’explique que l’on est obligé d’accepter les arguments d’autorité, c’est-à-dire de faire confiance à une série de scientifiques bien documentés. Mon opinion est claire : je fais confiance au GIEC, mais je ne suis pas capable de vous redonner toutes les démonstrations du GIEC qui sont très complexes. J’évoque Claude Allègre. Son opinion est très isolée et il a dit des choses qui ne sont pas sérieuses du tout, notamment lorsqu’il a dit : « Comment peut-on prévoir ce qui va se passer dans des dizaines d’années quand on n’est pas capable de prévoir ce qui va se passer dans 10 jours avec la météorologie ? » C’est une faute de logique énorme, parce que la météorologie n’a rien à voir avec la climatologie. Dire qu’il va faire froid en hiver et chaud en été, ce n’est pas de la météorologie, mais de la climatologie, en raison de l’inclinaison de l’axe de la Terre. On peut toujours trouver quelques hurluberlus isolés qui croient en ce qu’ils racontent, mais ce n’est pas une démonstration. L’écrasante majorité de la communauté scientifique n’est pas climatosceptique, c’est déjà un argument fort.

Certains vous répondent que les scientifiques ne peuvent pas dire ce qu’ils pensent, parce qu’ils sont tenus par leur carrière…

Je sais bien, j’entends cela, mais je vois mal quels sont les intérêts économiques derrière. À l’inverse, je voyais bien les intérêts économiques sur le tabac. Lorsqu’il y a eu des scientifiques expliquant que le tabac n’était pas si dangereux que ça, on comprenait très vite les intérêts derrière. Mais, sur la climatologie, je vois difficilement les intérêts économiques derrière.

Revenons à la crise sanitaire : le secret-défense des réunions avec Emmanuel Macron a-t-il renforcé les idées complotistes ?

C’était grotesque de placer le secret-défense sur ces réunions. Cela pouvait susciter un peu de méfiance, mais je ne crois pas que cela ait été décisif.

Le phénomène de confiance à l’égard d’une information est vraiment très complexe. Il sera toujours très difficile de combattre les fake news qui existent depuis le début de l’humanité. L’autre difficulté, c’est qu’il y a toujours une partie de vrai et une partie de faux…

Il y a une citation de Victor Serge, à propos des crimes staliniens, qui dit que dans leurs mensonges il y a aussi des vérités. Je cite aussi Paul Valéry, qui dit que le mélange de vrai et de faux est infiniment plus toxique que le faux pur. Il s’agit bien de cela. Effectivement, c’est un combat très difficile. Pour combattre les fake news, j’insiste beaucoup sur la nécessité d’avoir une éducation scientifique plus forte dans la société. Il faut aussi savoir reconnaître ce qu’il y a de vrai dans une fake news pour mieux la combattre. L’une des forces du professeur Raoult a été de dire qu’il a attiré l’attention plus tôt que les autres – ce qui n’est pas tout à fait vrai, d’ailleurs – sur ce virus et, surtout, de dire que les laboratoires pharmaceutiques étaient davantage intéressés par le fric qu’à soigner les gens. Ce sont des éléments vrais qu’il faut prendre en considération.

Il y a eu à une époque des débats très contradictoires sur les finances publiques et le poids de l’État. Ensuite, il y a eu la crise sanitaire. Il y a toujours des opinions divergentes sur le climat. Il y a aussi l’immigration… S’agit-il de thèmes récurrents dans les fake news ?

Je donne une série de critères pour essayer de distinguer une vérité scientifique d’une vérité qui ne l’est pas. Mais chaque fois que vous prenez de tels critères, vous vous apercevez qu’ils sont discutables. Donc, il n’y a aucun argument qui soit une condition nécessaire et suffisante pour certifier une information. C’est bien dommage, mais c’est comme ça. C’est pour cette raison que je dis que l’on peut dire telle ou telle chose, mais que cela ne suffit pas. Je crois que la condition essentielle, c’est que la théorie que vous donnez s’intègre dans la masse des autres connaissances. Je crois que c’est un critère très fort. La plupart des fake news ne rentrent pas dans cette catégorie, ce sont des points isolés dans l’ensemble des connaissances. La force d’une affirmation scientifique vient de toutes les autres informations scientifiques, c’est ce qu’il faut comprendre. Ce n’est jamais quelque chose d’isolé. Donc, si elle ne s’intègre pas dans le reste des connaissances, c’est très discutable.

Que pensez-vous des réseaux sociaux ?

C’est un élément extrêmement rapide et efficace de distribution des fake news, mais pas seulement. C’est comme l’imprimerie, qui a permis de dispenser sur une échelle de masse des fake news, mais aussi de vraies informations.

Dans un débat, lorsque quelqu’un affirme quelque chose, on évoque souvent l’origine idéologique de la personne en disant qu’elle a été d’extrême gauche ou d’extrême droite dans sa jeunesse. Cette question vous concerne, lorsque l’on connaît votre parcours à l’extrême gauche avec votre frère jumeau Alain Krivine : l’origine idéologique de la personne est-elle à prendre en compte ?

La source d’une information n’est pas suffisante. Elle peut éventuellement vous rendre suspicieux, méfiant, mais elle n’épuise pas la question. Pendant tout un temps, l’impérialisme américain était animé de mauvaises intentions et ils affirmaient qu’il y avait des goulags en Union soviétique. Les Soviétiques ont répondu : voyez comment vous traitez vos noirs. Mais les goulags existaient vraiment… Donc, la source d’une information ne la caractérise pas. Elle peut simplement nous amener à réfléchir un peu. Il y avait la science prolétarienne face à la science bourgeoise. Ensuite, il y a eu la science aryenne contre la science juive. Toute disqualification de la science à propos de l’origine de l’émetteur n’est pas bonne. C’est un élément qui peut vous faire douter, mais c’est tout. Il n’y a pas de science blanche ou de science noire. Il n’y a pas une science masculine et une science féminine. En revanche, les scientifiques ne font pas toujours de la science. Mais c’est une autre paire de manches…

Lorsqu’une personne déclare qu’elle n’écoute jamais Éric Zemmour, parce que tout ce qu’il dit est faux, tandis qu’une autre dit qu’elle n’écoute jamais Jean-Luc Mélenchon, parce que tout ce qu’il dit est faux, vous les mettez dans le même camp…

Je suis d’accord, on ne doit pas raisonner ainsi. Personnellement je n’aime pas du tout Zemmour et je me méfie beaucoup de ce qu’il raconte. D’ailleurs, il n’a pas dit que des choses fausses, quand il était plus jeune. C’est ce qui a fait sa force. Il avait une façon irrespectueuse de considérer les choses qui n’était pas antipathique au départ.

Écrit par Rédaction

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