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Plantu : « Nous vivons une mauvaise période en matière de liberté d’expression. »

La Baule célèbre la liberté d’expression à travers une exposition dédiée à Plantu

Plantu est l’un des dessinateurs de presse les plus connus de France. Il a fait de son art une arme pour défendre la liberté d’expression et la liberté de la presse. Il a travaillé pendant presque cinquante ans au journal Le Monde en croquant notre société. La ville de La Baule lui rend hommage à travers une exposition intitulée « Liberté, égalité, crayonnez ! ». Lors de l’inauguration, Franck Louvrier, maire de La Baule, a tenu à remercier Christophe Girard, ancien adjoint à la culture à la Mairie de Paris et résident secondaire baulois, qui a eu l’idée de cette manifestation. Franck Louvrier a toujours été un militant de la liberté de la presse. Lorsqu’il était directeur de la communication de Nicolas Sarkozy à l’Élysée, il lui arrivait souvent de bondir en découvrant des dessins de Plantu à la une du Monde. Mais jamais l’idée d’interdire ou de censurer ne lui a traversé l’esprit. En effet, citant Nicolas Sarkozy, il estime que « mieux vaut l’excès de caricature que l’excès de censure… » Une phrase que devraient méditer nos gouvernants actuels…

Cette exposition de dessins de Plantu est aussi un hymne à la liberté d’expression qui est malmenée depuis quelques années. Or, être favorable à la liberté d’expression, c’est justement être pour la libre parole de ceux qui ne pensent pas comme nous, y compris sur des sujets sensibles comme le confinement, l’hydroxychloroquine ou la vaccination… Tel est l’objet de cet entretien exclusif avec Plantu, qui réagit également aux propos de l’ancien ministre Pap Ndiaye contre la chaîne de télévision CNews, car c’est la première fois, dans notre histoire démocratique, qu’un membre du gouvernement a demandé la censure d’un média.

Exposition Plantu, « Liberté, égalité, crayonnez ! » à l’espace culturel Chapelle Saint-Anne, place Leclerc, à La Baule, jusqu’au 27 août 2023.

Plantu évoque la liberté d’expression et la liberté de la presse avec Yannick Urrien

Kernews : Chaque personne va interpréter votre exposition en fonction de sa propre sensibilité. Il y a un dessin avec des mains menottées par des smartphones qui est un thème fort, car il nous amène à réfléchir sur la domination du numérique et la perte de nos libertés individuelles…

Plantu : En tant que dessinateur, on voit les travers de cette époque avant tout le monde : « Il a dit cela, il a fait cela, il a dessiné cela… » Au début, il y avait des fatwas contre les dessinateurs, mais maintenant il y a des interdits permanents sur le thème : « Tu penses telle chose, mais tu ne la diras pas ».

La justice se fait maintenant par réseaux sociaux interposés.

Avec toujours ce même terme de complotisme…

Oui, avec l’effet de meute sur les réseaux sociaux. La justice se fait maintenant par réseaux sociaux interposés. En tant que dessinateur et caricaturiste, j’observe que la société devient de plus en plus caricaturale : on me pique mon boulot de caricaturiste ! Aujourd’hui, tout le monde déconne. Il y a une confusion des genres. La meute veut empêcher de donner la parole à des gens et c’est quelque chose de tout à fait nouveau.

Parfois, l’interdiction morale de la foule va au-delà de la loi. Je vais prendre un exemple : la loi n’interdit pas de débattre sur le confinement ou sur l’efficacité du vaccin, alors que les réseaux sociaux ont censuré ceux qui s’interrogeaient sur le bien-fondé de la vaccination…

Vous avez tout dit ! Je fais des expositions dans tous les hôpitaux, j’en ai fait 53 depuis deux ans. En mai 2020, j’entendais des gens qui disaient des choses sur le masque, le vaccin ou l’hydroxychloroquine. J’ai interrogé de nombreux directeurs d’hôpitaux, également des chefs de service, sur l’hydroxychloroquine, et ils m’ont tous dit que c’était une mauvaise idée. Mais je suis d’abord un citoyen et j’ai voulu m’informer. Je demande un libre débat. Le professeur Raoult avait le droit de proposer son hydroxychloroquine. J’ai vu la foule des gens qui attendaient à Marseille pour se faire soigner par le professeur Raoult, mais en face la réaction négative des médecins… Je me suis dit que les citoyens devaient tout faire pour essayer d’y voir clair sur tous les sujets.

On dit qu’une image vaut mille mots, or votre exposition à La Baule, avec de nombreuses références, vaut sans doute des heures de conférences…

Merci. Parfois, on me dit même qu’un dessin représente un éditorial et qu’il est inutile de lire le papier du journal ensuite… J’ai travaillé au Monde pendant cinquante ans et cela m’a toujours fait plaisir d’entendre cela. Mon dessin donne le sentiment d’avoir tout compris sur un sujet, c’est une orientation, une prise de position que j’assume. Je me mouille, mais si l’on veut mieux comprendre le sujet, il vaut mieux lire le papier. Si l’on veut comprendre l’Ukraine, ce qui se passe avec les migrants, ou la crise de la Covid, il faut lire l’article. Ce n’est pas moi qui vais vous faire un cours, je ne suis qu’un interprète. Un interprète ne comprend pas forcément le sujet de A à Z, mais il sait traduire et interpréter. Une fois, le rédacteur en chef du Monde me dit que c’est une belle journée pour l’euro et que je devrais faire un dessin là-dessus après avoir vu le service économique. Je vais au service économique en disant que c’est une belle journée pour l’euro et l’on me répond : « C’est une bêtise ! » Je suis une éponge, je ne comprends rien à l’économie. Il y a des points de vue différents, je traduis cela et parfois des économistes me disent que j’ai tout compris, alors qu’en réalité je n’ai pas compris…

Nous vivons une mauvaise période en matière de liberté d’expression.

On constate que le périmètre de la liberté d’expression se réduit : qu’en pensez-vous ?

Nous vivons une mauvaise période en matière de liberté d’expression. D’ailleurs, Riss, directeur de Charlie Hebdo, après le drame de 2015, avait dit que les dessinateurs étaient menacés et qu’ensuite ce serait le tour des citoyens. Par la suite, même sur des sujets mineurs, comme la vaccination, il y avait des pour et des contre dans toutes les familles. Dès que l’on soulevait la question, tout le monde se mettait sur la gueule… On avait quand même le droit de débattre et d’être pour ou contre la vaccination sans se donner des noms d’oiseaux.

Les non-vaccinés spéculaient sur la mort des vaccinés en comparant le vaccin à un poison, et les vaccinés espéraient la mort des non-vaccinés en disant que ce serait bien fait pour eux…

Les directeurs d’établissements hospitaliers – je les connais presque tous maintenant – me disent qu’ils ont été menacés de mort. Ils n’ont pas forcément averti la police pour essayer de calmer le jeu. Vous vous rendez compte ! On ose menacer de mort un directeur d’hôpital, alors que c’est quand même quelqu’un qui essaye de sauver la vie des gens.

Vous vous êtes fait connaître des téléspectateurs avec Michel Polac, qui animait « Droit de réponse » sur TF1. Il y avait sur le plateau des journalistes de Minute face à des représentants de L’Humanité ou de Libération…

On voyait parfois des cendriers voler, mais tout le monde débattait. Wolinski racontait à sa femme Maryse : « On a connu une époque d’insouciance ». Parfois, il se disait n’importe quoi. C’était une vraie bataille verbale. Mais c’était jubilatoire et gourmand. Les gens étaient vraiment contents d’avoir assisté à des débats. C’étaient des débats enflammés, mais à la fin tout le monde allait dîner chez Bofinger, à côté de la Bastille, et je voyais des gens qui s’étaient mis sur la gueule pendant l’émission et qui mangeaient une choucroute ensemble. À l’époque, ils n’avaient pas peur d’être pris en photo par un gars qui allait mettre cette image sur Instagram quelques minutes plus tard, puisque cela n’existait pas. On peut très bien avoir des divergences et se respecter. Par exemple, j’adorais le dessinateur Jacques Faizant, qui était au Figaro, alors que je n’étais pas d’accord avec lui.

On a souvent dit que vous étiez le Jacques Faizant de gauche…

Oui. Il m’a pris sous son aile et il m’a donné des conseils pour organiser le classement de mes dessins.

Nous sommes dans une époque pas très tolérante.

On a vu Pap Ndiaye, ministre de l’Éducation nationale, critiquer CNews et Europe 1. On n’a jamais entendu des ministres de la communication de François Mitterrand, comme Georges Fillioud, Catherine Tasca, Georges Kiejman ou Jean-Noël Jeanneney, tenir de tels propos à l’encontre des médias de droite à l’époque, qu’il s’agisse de stations de radio ou de journaux… Qu’en pensez-vous ?

Je crois que vous avez raison, mais ces personnes incarnaient une époque de tolérance, alors que nous sommes dans une époque pas très tolérante. Sur Pap Ndiaye, j’ai fait un dessin là-dessus. Je trouve cela un peu triste. Qu’il n’aime pas telle ou telle chaîne, ou telle ou telle personne, c’est la vie. Mais avec ce genre de phrase, il faut faire attention où l’on met les pieds. On sent qu’il y a des phrases que l’on s’autorise et puis des interdits qui tombent. Évidemment, ils ne vont pas interdire CNews par la loi, mais à force de faire pression, ils peuvent interdire des pensées. Je connais beaucoup de gens qui pensent quelque chose sur un sujet et qui n’osent plus rien dire. C’est assez inquiétant.

Vous êtes un homme de presse écrite. Lorsque l’on regarde un dessin, on s’y attarde pendant plusieurs secondes, puis on y revient, tandis que sur Internet la concentration n’est plus la même. Quel est votre avis ?

Vous avez tout à fait raison. Un ami réalisateur m’a dit qu’il y a dix ans Internet n’était qu’un outil, mais que c’est en train de devenir le maître. Maintenant, c’est pire et Internet est devenu le maître à penser. Aujourd’hui, quand on choisit un casting avec des acteurs, un producteur peut arriver sur le plateau en disant que l’algorithme recommande de prendre d’autres acteurs. Donc, maintenant on écoute l’algorithme, et pas le réalisateur qui a envie de créer. C’est très inquiétant.

Que pensez-vous de l’intelligence artificielle qui permet de dessiner des caricatures ?

Techniquement, c’est possible. L’intelligence artificielle peut bien faire cela. Maintenant, je donne rendez-vous à l’intelligence artificielle pour défendre un dessinateur menacé ! J’ai créé une association avec Kofi Annan en 2006, quand il était secrétaire général de l’ONU, pour défendre des dessinateurs chrétiens, juifs ou musulmans du monde entier. Un dessinateur portugais a publié dans un journal portugais un dessin de Donald Trump avec une kippa…

Pour le transfert de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem…

Oui. Ce dessin a suscité une grosse polémique aux États-Unis. On a dit que c’était un dessin antisémite, beaucoup de journaux se sont révoltés et le New York Times a décidé de ne plus utiliser de dessins. ChatGPT est incapable de prendre la défense d’un dessinateur sur un tel sujet. Le dessinateur a expliqué sa démarche, mais c’était trop tard. Il y a eu un véritable tsunami. D’ailleurs, quand Donald Trump est allé à Jérusalem, il a mis une kippa devant le Mur des Lamentations, ce qui est normal, c’est ce que j’ai fait aussi. Mais la parole de ce dessinateur était ensuite inaudible. Qui peut défendre la parole d’un journaliste, d’un dessinateur ou d’un citoyen ? ChatGPT pompe sur les autres. Jusque-là, cela ne me dérange pas, mais il faut sortir du bois pour voir ce que la personne a dans le ventre : par exemple, si la France est occupée par les Allemands, que fait Chat GPT ? Quelle est son attitude par rapport à Jean Moulin ? Que faut-il dénoncer ? L’humain reste toujours celui qui décidera de son avenir de créateur d’opinions. Chat GPT ne fait que copier.

Le politiquement correct s’installe partout…

Avec toujours cette obsession de ne vouloir offenser personne…

J’attends de voir, mais c’est vrai, le politiquement correct s’installe partout… Nous, les dessinateurs de presse, nous flirtons avec la ligne rouge, alors que Chat GPT ne flirte jamais avec la ligne rouge. Notre métier consiste à flirter en permanence avec la ligne rouge. Par exemple, j’ai parlé de Nicolas Sarkozy avec Franck Louvrier, maire de La Baule, car j’ai passé mon temps à flirter avec ce qui était autorisé ou non. Aujourd’hui, il me reçoit très gentiment. Pourtant, j’ai souvent dépassé la ligne rouge à l’égard de Nicolas Sarkozy…

Enfin, quel message avez-vous envie de lancer aux touristes et aux Baulois qui vont venir voir cette exposition cet été ?

Liberté, égalité, crayonnez ! Faites-vous plaisir ! Si vous avez une opinion, ce n’est pas réservé aux autres, elle est tout à fait respectable. Cela ne signifie pas que nous allons tous être d’accord. Il faut permettre l’expression et surtout ne pas croire que l’on n’est pas capable de dessiner. J’ai fait venir à la Bibliothèque nationale de France 500 personnes qui disaient ne pas savoir dessiner. Or, au bout de trois quarts d’heure, tout le monde savait faire un petit dessin. Un jour, dans une école, les enfants me demandent de dessiner la maîtresse avec des poils aux pattes… Je leur réponds que s’ils veulent le faire, ils peuvent le faire. Un enfant vient à côté de moi et je lui demande si sa maîtresse a des poils aux pattes. Il regarde sa maîtresse et il me répond que non. Alors, je lui dis que s’il veut lui mettre des poils aux pattes, c’est qu’il veut lui faire de la peine. Le gamin répond que non. Je vais plus loin en lui disant qu’il doit assumer son dessin et le signer. À la fin, il ne le fait pas, puis il fait simplement un dessin. Après, cela devient son vrai dessin. Ce n’est pas un dessin faussement arrogant ou faussement irrespectueux. Je veux que la personne assume et signe son dessin.

Écrit par Rédaction

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