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Nicolas Franck : « Le fait d’enfermer des êtres humains, qui ne sont faits ni pour être enfermés, ni pour être isolés, cela altère leur santé mentale. »

Le confinement a un impact non neutre sur notre santé mentale.

Le professeur Nicolas Franck est psychiatre, chef de pôle au centre hospitalier Le Vinatier à Bron, et responsable d’enseignement à l’université Claude Bernard à Lyon. Il a déjà publié deux livres « La schizophrénie » (Odile Jacob) et « Entraînez et préservez votre cerveau » (Odile Jacob), ainsi que de nombreux articles et ouvrages scientifiques destinés aux professionnels de la santé mentale.

Écrit durant le premier confinement, ce nouveau livre nous refait vivre cette période qui a eu pour effet de bouleverser nos organisations et de nous faire perdre nos repères. L’auteur décrypte les conséquences de cette crise sur la santé mentale, à la lumière d’autres situations d’isolement (vécues par les astronautes, les navigateurs solitaires ou les spéléologues) et de précédentes épidémies qui ont montré comment le stress impacte notre corps et notre activité mentale.

« Covid-19 et détresse psychologique » de Nicolas Franck est publié aux Éditions Odile Jacob.

Ecoutez Nicolas Franck sur Kernews

Extraits de l’entretien

Kernews : Votre étude valide ce que l’on pouvait craindre : l’enfermement entraîne des séquelles psychologiques et l’on avait d’ailleurs évoqué cela lors du premier confinement. Comment expliquez-vous que cela semble ne pas intéresser nos pouvoirs publics ?

Nicolas Franck : Cela fait partie du désintérêt global de la société en France pour tout ce qui concerne la sphère mentale et la psychiatrie. Cela reste un sujet globalement tabou. Comme on ne s’intéresse pas à la psychiatrie, on ne s’intéresse pas tellement à ses aspects positifs non plus… Pourtant, cela nous concerne tous et c’est pour cela qu’il est opportun de renverser la perspective en parlant de santé mentale. On a besoin de la psychiatrie quand la santé mentale se dégrade. Nous avons tous une santé cardiologique ou une santé dermatologique de plus ou moins bonne qualité. Idem pour la santé mentale. Et la santé mentale de tous peut s’altérer. C’est ce que nous avons montré à travers l’enquête que nous avons menée auprès de la population générale lors du premier confinement.

Généralement, lorsque quelqu’un est anxieux, par exemple à la perspective d’un licenciement, on lui répond qu’il doit penser à autre chose. C’est facile à dire, mais la réalité est bien différente…

La méthode Coué ne suffit pas ! Il ne suffit pas de se dire que l’on veut être heureux pour réussir. Il faut que les conditions soient réunies pour que cela puisse fonctionner et procurer un certain bien-être et une certaine satisfaction, pour soi-même, pour son avenir, ou pour ses proches. La détresse psychologique peut être la conséquence d’une faillite économique ou d’une situation de précarité qui va être générée par la crise. Donc, ce n’est pas le coronavirus qui va générer tout cela, mais le confinement. Et le confinement est dû au fait que l’on en a besoin parce que l’on n’a pas pu juguler l’épidémie autrement… Je pense que si l’on avait moins infantilisé la population, en l’associant davantage aux décisions, en faisant de l’éducation à la santé, et si la population avait mieux compris l’enjeu de ne pas transmettre le virus facilement, on n’en serait pas arrivé à avoir besoin de confiner à nouveau. Il faut responsabiliser la population, l’associer aux décisions et faire en sorte qu’elles les comprenne, en ne réagissant pas de manière brutale au dernier moment parce que l’on ne peut plus faire autrement.

Cette théorie est valable dans les pays où les dirigeants politiques sont écoutés et respectés…

Je ne suis pas désespéré par rapport à l’état d’esprit des Français ! Il est facile de dire qu’ils sont rebelles et qu’ils ne vont rien accepter pour faire passer des décisions brutales. Mais est-ce que l’on a vraiment essayé de les associer en leur faisant comprendre les enjeux ? Quand il y a un obstacle, on se donne les moyens de le surmonter. Il y a eu des discours et de la formation, mais cela n’a pas été suffisant. Il y a toujours moyen de ne pas infantiliser, si l’on prend les mesures nécessaires à titre d’information.

Certes, mais la parole politique doit être crédible… Je prends l’exemple du roi du Maroc qui est aimé de ses sujets et, lorsqu’il dit quelque chose, ils comprennent que c’est pour leur bien. Mais quand Emmanuel Macron dit la même chose, les Français recherchent le complot qu’il y a derrière…

Alors, Emmanuel Macron doit s’entourer de personnes crédibles ! Il a pris un conseil scientifique mais, visiblement, sa crédibilité n’est pas non plus suffisante. Il faut se donner les moyens de s’entourer de personnes qui vont savoir faire passer le discours qui va porter. La priorité, c’est tout ce qui concerne la saturation en réanimation : c’est le risque vital, c’est la première chose. Ensuite, il y a le secteur économique, cela ne s’arrange pas, c’est quelque chose qui va monter en importance. La troisième priorité, c’est la santé mentale, puisque le fait d’enfermer des êtres humains, qui ne sont faits ni pour être enfermés, ni pour être isolés, cela altère leur santé mentale. Pourtant, on n’entend pas beaucoup parler de précautions, de mesures prises, ou tout simplement de communication, par rapport à ce domaine qui est extrêmement important.

Certaines personnes finissent par s’habituer à rester seules, elles perdent leurs repères et elles n’ont plus envie de voir du monde…

Cela s’appelle se résigner, c’est la deuxième période du stress. Nous avons tous étés sidérés, mi-mars, quand nous avons appris le confinement. Notre quotidien a été désorganisé. Et puis, nous l’avons reconstruit, en nous habituant à des circonstances dégradées. Nous nous sommes résignés. Après, on peut aller vers le troisième stade – heureusement nous n’en sommes pas là – qui est celui de l’épuisement. Ce sont des modèles de stress qui sont bien connus : or on les a appliqués à toute la population française et à plus de la moitié de la population mondiale !

Le gouvernement vous a-t-il consulté ?

Non. J’aimerais que des spécialistes de la santé mentale soient effectivement consultés pour savoir comment accompagner la population… Pas spécialement moi, mais que cela soit fait globalement.

Votre étude confirme que lorsque l’on est bien portant et riche, confiné dans une belle maison, on se porte mieux que lorsque l’on est pauvre et confiné dans un petit logement…

C’est exactement cela. Il est plus facile d’être confiné quand on a une grande surface, quand on est âgé et quand on a construit sa vie, quand on n’est pas seul, avec un travail, que lorsque l’on est un étudiant seul, à distance de chez ses parents, dans 15 mètres carrés. Je pense qu’il faut vraiment pouvoir aider cette catégorie de la population. Les principales victimes du confinement sont les étudiants.

Par ailleurs, votre étude indique que les retraités et les professionnels de la santé ont plutôt bien vécu le confinement, alors que l’on aurait pu penser qu’ils en seraient les premiers affectés. Comment analysez-vous cela ?

Effectivement, on aurait pu penser que les retraités auraient été très impactés, du fait de la peur du virus au minimum. Mais, visiblement, ils ont été rassurés par les mesures prises et leur bien-être n’a pas été altéré, au contraire. Quant aux professionnels de santé, la leçon des crises précédentes a été tirée par les pouvoirs publics, ce qui est bien, puisque dans de nombreuses épidémies ils avaient été considérés comme des vecteurs de maladies, stigmatisés, rejetés et victimes de troubles psychiatriques post-traumatiques. Or, cela ne s’est pas produit. Ils ont été applaudis tous les soirs, ils ont été encouragés et leur sentiment d’utilité a été renforcé. C’est quelque chose de très important pour le bien-être mental. Donc, cela s’est bien passé pour les soignants. C’est positif, puisque c’est quand même grâce à eux que l’on surmonte la crise.

Autre conséquence du confinement : la surconsommation d’alcool, de tabac et d’écrans…

Malheureusement, on observe une petite augmentation des addictions pour les substances, mais surtout une très grosse augmentation pour les écrans. Le risque essentiel concerne les enfants, avec l’addiction aux jeux vidéo en ligne et aux séries sur les plates-formes informatiques. Ce risque d’addiction aux écrans est extrêmement important ! Il faut informer les parents pour faire en sorte qu’ils ne poussent pas leurs enfants dans de tels travers, parce qu’après il est difficile de s’en sortir et c’est au péril de la scolarité, évidemment.

Écrit par Rédaction

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